Le bateau fluvial Zulu 6 à hydrogène en attente d’une réglementation

Construit en Roumanie pour Blue Line Logistics, filiale de Sogestran, le bateau fluvial Zulu 6 est depuis un an à quai au Havre, attendant de recevoir une pile à combustible. La technique hydrogène qui équipera l’automoteur destiné à la logistique urbaine est au point grâce aux partenaires du projet Flagship. Mais pour le finaliser, il reste des freins réglementaires qui pourraient être levés dans les mois à venir par la CCNR.

L’objectif d’être prêt pour les Jeux olympiques et paralympique de Paris est encore atteignable, mais le projet a déjà pris beaucoup de retard. Censé guider la batellerie européenne sur la voie de l’utilisation de piles à combustible, le Zulu 6 est encalminé dans les méandres de l’administration française, et en voie de se faire voler la primeur du transport fluvial à l’hydrogène par le Maas, automoteur néerlandais en cours de conversion qui doit être opérationnel en mai prochain.

La cause du retard ?

Faute de réglementation applicable aux bateaux fluviaux à hydrogène, Blue Line Logistics (BLL), la filiale de Sogestran spécialisée dans la logistique urbaine, ne sait pas quelle pile à combustible installer à bord de son Zulu 6, ni quelles doivent être les caractéristiques du réservoir à hydrogène.

« Il nous faut donc une dérogation préfectorale pour naviguer sur un secteur précis, ce qui nécessite l’avis de plusieurs instances administratives, détaille Pierre-Yves Girardet, directeur de Blue Line Logistics. Cela fait huit mois que nous attendons que l’administration nous indique quelle norme va s’appliquer au conteneur de stockage d’hydrogène. Nous ne pouvons donc pas équiper le bateau ».

Une autre solution réglementaire ?

Le groupe Sogestran a choisi une autre voie en présentant une demande d’autorisation auprès de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) dont les certificats sont reconnus dans toute l’Union européenne.

BBL espère une réponse pour le mois de juin après avoir présenté son projet début mars 2023 devant l’organisation basée à Strasbourg.

« Cela aurait pu aller plus vite avec une dérogation obtenue en France, regrette Pierre-Yves Girardet. Avec la CCNR, nous bénéficierons d’une autorisation valable sur tous les fleuves, et non d’une dérogation locale ».

En attendant, le bateau est à quai depuis mars 2022.

Concernant le bateau Zulu 6 destiné à être équipé à l’hydrogène, par rapport aux étapes administratives, sa construction apparaît presque relativement facile :

  • BLL a fait fabriquer le Zulu 6 à Giurgiu, en Roumanie, par la filiale locale du chantier breton Piriou. Comme le Zulu 5, cet automoteur de 50 m de long pour 8 m de large peut emporter 450 t, alors que les quatre premiers Zulu sont limités à 300 t.
  • Du chantier de Giurgiu, le Zulu 6 a remonté le Danube grâce aux deux générateurs diesel de 300 kW actionnant ses propulseurs électriques. Il a ensuite rejoint, via la Main et le Rhin, le port de Rotterdam d’où il est parvenu au Havre en mars 2022 à l’issue d’un remorquage maritime.
  • Depuis cette date, il est en attente d’être équipé de ses deux piles à combustibles de 200 kW chacune, qui doivent être fournies par la société canadienne Ballard, l’un des nombreux partenaires du programme Flagship.
Un programme européen

Abondamment financé par l’Union européenne, ce programme réunit tous les partenaires nécessaires à la création d’un bateau à hydrogène. Avec pour objectif de faire naviguer des démonstrateurs, dont l’expérience profitera aux autres opérateurs.

Initialement, Flagship devait concerner un navire à passager de l’armement norvégien Norled et un pousseur du groupe Sogestran sur le Rhône. Norled a finalement quitté le programme, mais a néanmoins construit son ferry : le H2 Hydra, livré en juillet 2021. Celui-ci a d’abord fonctionné en diesel électrique et n’a commencé à utiliser des piles à hydrogène qu’en mars 2023.

Un autre armateur fluvial, cependant, a rejoint Flagship en février 2022 : il s’agit du néerlandais Futur Proof of Shipping (FPS), dont l’automoteur rhénan Maas, fonctionnant précédemment au diesel, a été converti à la propulsion électrique et doté d’une pile à combustible à hydrogène. Le bateau de 135 m doit commencer sous peu ses essais de navigation à hydrogène. Il sera affecté au transport de conteneurs entre les Pays-Bas et la Belgique.

Un Zulu à l’hydrogène, pour quelles raisons ?

Le groupe Sogestran a finalement décidé que c’est son dernier Zulu qui recevrait une motorisation hydrogène/pile à combustible, et non pas un pousseur comme le projet initial le prévoyait. Le Zulu avait déjà été mis en production avant cette décision, construit en Roumanie et doté d’une propulsion électrique alimentée par deux groupes diesel. Ces générateurs resteront à bord, constituant une solution de secours.

Le choix du Zulu plutôt qu’un autre type de bateau peut s’expliquer par son usage pour la logistique urbaine et il peut plus facilement faire office de vitrine des possibilités de « décarbonation » du fluvial. Peut-être aussi, du fait de trafics à plus forte valeur ajoutée, peut-il surmonter des coûts d’exploitation plus importants ?

Pour naviguer en ville avec zéro émission, des batteries auraient aussi pu être envisagées, d’autant que les distances parcourues ne sont pas très importantes, ce qui réduit le besoin d’autonomie.

« Le choix de l’hydrogène s’explique surtout par la flexibilité qu’il apporte, tranche Pierre-Yves Girardet. S’il s’agissait d’un bateau dédié à un trafic particulier, avec toujours le même itinéraire, on pourrait naviguer sur batterie en se rechargeant toujours au même quai ».

La solution de l’hydrogène en conteneur, quels avantages ?
  • Un des avantages du Zulu, par rapport à un pousseur, c’est qu’il y a davantage de place à bord. Les deux piles à combustible ainsi que la réserve d’hydrogène ne seront pas installées à fond de cale mais en pontée, à l’arrière du bateau, ce qui réduit les risques en cas de fuite de gaz. Cela facilite aussi la manutention.
  • Le réservoir contiendra 350 kg d’hydrogène compressé à 300 bars, offrant au bateau une autonomie d’une semaine à raison de 50 km par jour. Ce réservoir, compris dans un conteneur de 20 pieds, pourra être aisément manutentionné par les portiques des terminaux à conteneurs pour faire le plein, par exemple à Gennevilliers ou Bonneuil, dont les terminaux sont agréés pour les marchandises dangereuses.
  • Une fois posé sur remorque routière, le conteneur sera amené jusqu’au lieu de production d’hydrogène, les quantités à fournir étant trop importantes pour les stations d’approvisionnement prévues pour le transport routier, qui en outre ne proposent pas forcément de l’hydrogène « vert ».
  • Dans un premier temps, Sogestran ne prévoit qu’un conteneur. Mais, à l’avenir, il pourra y en avoir plusieurs, afin que le soutage gagne en rapidité : le plein d’hydrogène ne prenant pas plus de temps qu’il n’en faut pour placer un conteneur à bord.
Qu’en est-il de l’approvisionnement en hydrogène » vert » ?

La participation au programme Flagship impose d’exploiter le bateau pendant une durée minimale de 18 mois. Blue Line Logistics souhaite évidemment continuer à l’hydrogène au-delà de cette durée. Il lui faudra alors racheter l’équipement fourni par Ballard, ou bien acquérir une nouvelle pile à combustible.

Autre contrepartie à l’obtention des financements européens de Flagship : utiliser pour moitié de l’hydrogène « vert », c’est à dire issu d’électricité renouvelable et non pas produit par vaporeformage du méthane.

« Nous avons la volonté d’utiliser uniquement de l’hydrogène « vert », mais il est difficile de s’en procurer, précise Pierre-Yves Girardet. Air Liquide en produit à Port Jérôme. Un autre site de production existe à Évry, plus proche de la région parisienne, ce qui qui est important car il faut aussi penser au bilan carbone du transport de l’hydrogène jusqu’au bateau. Le Zulu 6 sera en effet exploité à Paris, qui est un marché important pour la logistique urbaine et où les Jeux Olympiques constitueront à la fois une vitrine et un tremplin pour la « décarbonation » de la logistique ».

Garder une longueur d’avance

Pour Sogestran, le développement d’un bateau à hydrogène correspond à une logique : celle de garder une longueur d’avance en termes d’innovation et de « décarbonation ». Même la grue du Zulu 6 est électrique, pour profiter de l’énergie « décarbonée » de la pile à combustible, alors que sur les autres Zulu les grues disposent de leurs propres générateurs diesel.

« Que les clients le demandent ou pas, Sogestran lance des innovations. Nous avons ainsi, avec le service « so blue » de Logi Port Shuttle, un porte-conteneur fluvial sur la Seine qui fonctionne à l’HVO. Sur l’hydrogène non plus, notre volonté d’innover ne vient pas d’une demande des clients, qui ont déjà l’impression de suffisamment « décarboner » en utilisant le transport fluvial ».

Les délais nécessaires à la mise en exploitation du bateau prouvent qu’il est important d’anticiper cette demande de navigation zéro émission.

Source : NPI