Dernière ligne droite avant la réouverture du canal Condé-Pommeroeul

Fermé à la navigation depuis 31 ans, le canal Condé-Pommeroeul va reprendre du service à l’automne 2023. La journée du transport fluvial et de l’intermodalité de Wallonie a permis de revenir sur le chantier « atypique et spectaculaire » de ce lien transfrontalier entre la France et la Belgique, qui s’inscrit aussi dans la préparation de la liaison européenne Seine-Escaut.

Organisée la journée du transport fluvial et de l’intermodalité à Mons, à une vingtaine de kilomètres de l’une des écluses du canal de Condé-Pommeroeul, côté wallon, n’était pas tout à fait le choix du hasard.

Cet événement annuel de la direction du transport et de l’intermodalité des marchandises (DTIM) du Service Public de Wallonie (SPW) Mobilité et Infrastructures a pu ainsi mettre en avant l’aboutissement pour cet automne 2023 du chantier de remise en navigation et d’élargissement/approfondissement de ce canal, lien transfrontalier entre la Wallonie et la France.

Le canal Condé-Pommeroeul est fermé à la navigation depuis 1992 pour cause d’accumulation de sédiments (envasement) d’un tronçon de 6 km compris entre l’écluse d’Hensieset celle de Fresnes-sur-Escaut sur un total de 12 km reliant Condé-sur-l’Escaut (Nord) à la ville de Pommerœul (Wallonie). Ne pas pouvoir l’emprunter contraint les bateaux naviguant entre Valenciennes et le canal du Centre à un détour d’environ 12 heures par le canal de Nimy-Blaton-Péronne.

La remise en navigation et l’élargissement/approfondissement au gabarit 3 000 tonnes (pour des bateaux de 110 m x 11,40 m) au lieu de 1 500 tonnes s’inscrit dans le cadre de la liaison Seine-Escaut. Le canal Condé-Pommeroeul constituant l’un des trois débouchés du corridor Seine-Escaut vers les réseaux fluviaux à grand gabarit de l’Europe du Nord, en établissant une liaison fluviale directe entre le canal à grand gabarit français et le canal du Centre à grand gabarit en Belgique (vers Charleroi, Bruxelles, Anvers au Nord-Est et la Meuse à grand gabarit à l’Est).

Quels ont été les travaux en Wallonie ?

« Les travaux du Condé-Pommeroeul répondent à de grands objectifs : rendre le mode fluvial plus attractif, favoriser le développement d’activité économique et donc des entreprises, des ports intérieurs et maritimes, des emplois pour les territoires traversés et au-delà », a expliqué Sébastien Lannoy, du département des voies hydrauliques de Tournai et de Mons (SPW MI).

Du côté de la Wallonie, les travaux suivants ont été menés :

  • Démolitions des bâtiments à Hensies en octobre et novembre 2020 (60 000 euros) ;
  • Construction d’un poste de commandes à Hensies, en cours de finition (1,5 million d’euros) ;
  • Rénovation électro-mécanique des écluses d’Havré, Pommeroeul et Hensies depuis mars 2019, en cours d’achèvement (22,3 millions d’euros) ;
  • Construction d’un môle à Hensies à l’aval rive droite de l’écluse (3,1 millions d’euros) ;
  • Restauration des portes amont et aval de l’écluse d’Hensies (1,3 million d’euros), en cours d’achèvement.
Quelles ont été les étapes du chantier du côté français ? 

« Le chantier du canal Condé-Pommeroeul est atypique : après 30 ans de fermeture à la navigation, ce n’était plus vraiment une voie d’eau compte tenu de l’accumulation des sédiments. Il restait seulement un filet d’eau s’écoulant, ce qui fait qu’on n’était plus dans les conditions d’exercice d’un chantier fluvial « classique » avec du matériel seulement fluvial », a indiqué Manuel Philippe, adjoint au chef du service maîtrise d’ouvrage (DIMOA/UO Lille) de Voies navigables de France (VNF).

Côté français, les travaux ont été planifiés en trois étapes :

  • Désensaver, c’est-à-dire ôter la couche de sédiments ;
  • Élargir pour permettre le gabarit Va (pour un canal d’une largeur de 34 m et d’une profondeur de 3,80 m) ;
  • Aménager les berges selon les critères actuels.

Préalablement au chantier, le pont de Saint Aybert a été rehaussé à 7 mètres.

Le responsable de VNF a rappelé quelques chiffres marquants :

  • 1 million de m3 de sédiments à draguer (un volume particulièrement élevés si on le compare aux 370 000 m3 annuels récoltés sur l’ensemble du réseau fluvial français) ;
  • 450 000 m3 de terres franches à terrasser, issues de l’approfondissement/élargissement ;
  • 34 hectares de zones naturelles créés ;
  • 100 hectares de foncier mobilisés hors du canal pour la gestion des sédiments dragués (3 sites) et des terres (2 sites) et la création d’espaces naturels compensatoires (un tiers du total).

« Les conditions de dragage ont été hors normes : ce n’est pas pareil de travailler dans un canal qui n’est plus en navigation depuis 30 ans par rapport à une voie d’eau navigable. Il a fallu combiner différentes interventions en milieu contraint », a insisté le responsable de VNF.

Il a d’abord fallu effectuer un débroussaillage préalable en période hivernale puis un entretien sélectif sous contrôle environnemental. Puis a eu lieu le dragage des sédiments proprement dit, suivi des terrassements fluviaux et terrestres pour l’élargissement/approfondissement et de la mise en stock des sédiments et terres retirés. Sans oublier de préserver des aires successives pour permettre le maintien de la biodiversité.

Des défis environnementaux dont un inattendu

« Le projet comprenait dès l’origine un important volet environnemental compte tenu d’un contexte de biodiversité sensible. Environ 10 à 15 % du budget total de 80 millions d’euros est dédié à cette thématique », a poursuivi Manuel Philippe.

Sachant qu’au cours des 31 ans d’absence de navigation, le canal et ses abords se sont transformés avec la présence de zones humides, de frayère à brochets, de milieux favorables à l’avifaune, aux chiroptères… Des mesures compensatoires ont été réalisés avant le lancement des travaux pour permettre aux espèces de s’installer.

« Aux mesures prévues, avec un standard environnemental déjà élevé, il s’est ajouté une nouvelle donne alors que le dragage avait commencé en septembre 2020 : des indices d’alimentation du castor d’Europe ont été repérés en avril 2021. Le canal tel qu’il était devenu après 30 ans de non-navigation convenait à cet animal. Nous avons dû interrompre le chantier », a rappelé le responsable.

Cette découverte a entraîné « une remise à plat du chantier : à la fois la façon de le conduire par strates pour ménager des espaces pour les castors mais aussi des modifications du design de surface. De loin en loin, les berges sont davantage replantées (saules…), les profils de berge modifiés, les enrochements recouverts de terres végétales pour accueillir des plantes adaptées… Le tout pour permettre des conditions de vie durables de l’espèce ».

Le chantier a été interrompu deux mois après la découverte du castor et a pris finalement un retard de 9 mois compte tenu des adaptations supplémentaires pour préserver sa présence. Le Covid 19 en 2020 avait provoqué un retard de 2 mois qui avait été rapidement rattrapé.

Le chantier entame désormais sa dernière ligne droite avec une remise en service en septembre 2023 pour des opérations préalables lancées en 2017.

Il restera toutefois des travaux à mener en 2024 et 2025 : aménagement d’un garage d’écluse à Fresnes-sur-Escaut (aval rive droite), de chemins de service, finitions des aménagements de berges et milieux humides. De 2026 à 2028, il y aura la finalisation de la gestion des sédiments : réssuyage, couvertures, aménagements écologiques et paysagers, boucles cyclables.

Les prévisions de trafic sont de l’ordre de 4 millions de tonnes en 2040 et de 70 millions en 2070.

Source : NPI