Rapport du COI : la Profession relève une « ambition de voie d’eau » mais des renoncements qui interrogent

Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), présidé par David Valence, vient d’être rendu public : un rapport de synthèse de 158 pages et un rapport annexe, avec une revue des projets de 142 pages. Le rapport a été diffusé par « Mobilettre » (voir en fin d’article) et sera rendu public prochainement.

Le rapport du COI refuse de se laisser enfermer dans le cadre budgétaire de Bercy en écartant d’emblée ce qui aurait pu être le scénario 1 : « Ce scénario contraindrait de reporter d’un quinquennat les ambitions exprimées dans la commande et poserait des difficultés au regard des négociations à venir des CPER. L’extrapolation de ce cadrage sur les quinquennats suivants serait alors totalement hors des objectifs. C’est pourquoi, sans sous-estimer les difficultés économiques de la période actuelle, le COI propose de ne pas le retenir. »

Le COI présente un scénario 2, dit de « planification écologique », qu’il présente comme « un socle commun de compromis des programmes et projets » lors des débats internes. Quant au scénario 3, dit de « priorités aux infrastructures », il ne diffère du scénario 2 « que sur trois points : les investissements de développement routier dans les CPER, les grands projets routiers et les lignes nouvelles à grande vitesse ».

Le scénario 2, dans le fond, conforte pour l’essentiel les projets lancés, avec une priorité première donnée au ferroviaire, confirmant aussi la trajectoire du COP s’agissant du fluvial, sans que l’on puisse y voir un « vrai » rattrapage. Quand les uns font 3 pas, le fluvial n’en fait qu’un seul…

Si le fluvial voit la stratégie du Contrat d’Objectifs et de Performance Etat-VNF (le fameux « Cop ») largement confortée, une bonne chose à l’heure de sa revoyure, le COI ne va pas jusqu’à tirer les conséquences de son propre constat sur l’état des infrastructures fluviales : « La validité des études de 2017 sur l’état du réseau et son besoin de régénération s’étant confirmée, le manque de moyen conduirait à retarder la modernisation et donc les gains de productivité, donner la priorité au fret, mais prendre le risque de conflits avec les territoires sur le réseau essentiellement touristique à petit gabarit et d’aggraver les risques de sécurité sur les ouvrages de ce réseau, ou encore privilégier les enjeux de sécurité, mais au risque de compromettre la continuité de la navigation commerciale à grand gabarit par défaut d’entretien ce certaines écluses. »

Ainsi le COI, s’il propose de rendre plus cohérente la trajectoire financière sur la période 2023-2027, ne va pas jusqu’à préconiser une amplification significative des crédits pourtant absolument nécessaire au vu de ses propres constats. Certes, l’option de « dénavigation » est confirmée comme étant écartée ce qui est une profonde satisfaction pour la Profession, mais certaines liaisons inter-bassins à petit gabarit sont encore toujours sur la sellette, nuisant potentiellement à la cohérence du réseau. On découvre ainsi que 8 % du réseau « passeraient » en gestion hydraulique… Ce qui n’est à notre sens pas le cas.

Le COI ne peut que saluer car c’est une réalité objective, tout comme E2F le fait, la mobilisation de moyens financiers et humains sur la 1ère partie du COP sans précédent. Satisfecit justifié à l’égard de VNF mais pour E2F l’ambition doit aller au-delà. VNF ne peut faire qu’avec les moyens qu’on lui donne et ils ne sont clairement pas au niveau.

Une France fluviale coupée en deux

Au chapitre des projets, le COI se concentre sur la liaison Seine – Escaut intégrant le maillon central ainsi que Magéo et Bray-Nogent. Cohérent et rassurant pour la suite.

Le COI considère par ailleurs que le changement climatique et les alternatives ferroviaires ne justifient pas un grand aménagement du canal du Rhône à Sète, qu’il s’agit essentiellement de conforter et d’entretenir. Une appréciation prudente, qui n’injurie pas l’avenir, mais montre encore une fois à quel point le COI se montre timoré dans ses ambitions logistiques et écologiques.

Le COI rappelle également qu’il a été saisi d’une demande d’acteurs économiques du secteur fluvial, pour mettre en avant un projet de canal du Rhin à la Saône.

On apprend au travers de ce Rapport que la France aurait retiré de ses projets prioritaires adressés à l’Europe la liaison Saône-Moselle / Saône – Rhin, et que de fait l’Europe ne la retenait pas pour les RTE-T. Ceci aurait mérité à tout le moins un débat national. Après près de 60 ans d’études et de travaux, le réengagement successif d’au moins 4 présidents de la République, on assisterait ainsi à une décision couperet sans aucun débat préalable. Si cette information était confirmée elle apparaîtrait comme une erreur à la fois stratégique et historique.

Ainsi le COI écrit « Après l’abandon du canal Rhin-Rhône et le retrait de ce canal du RTE-T, le COI déclare ne pas disposer des éléments qui justifieraient de relancer un tel projet ». Il estime qu’il pourra être utile que l’Etat examine de façon approfondie les possibilités de développement d’offres de transport de marchandises combinant le fer et le fluvial avec les infrastructures existantes et les projets déjà prévus concernant l’axe Rhin-Rhône. Sans doute, mais d’un trait de plume le COI décide que les flux Nord-Sud ne passeront pas par le fleuve…

Au final, entre les préconisations sur le Canal du Rhône à Sète, la prise d’acte sur  Saône-Moselle / Saône – Rhin, et les hypothèques non encore levées sur les liaisons inter-bassins nord-sud à petit gabarit,  la France fluviale qui nous est donnée à voir est coupée en deux.

Ce rapport du COI porte néanmoins dans ses termes une « ambition de voie d’eau », mais encore très en-deçà de ce que pouvaient légitimement attendre les acteurs du fleuve en termes de priorités budgétaires. La faute sans doute à un certain manque de vision, de vision de la voie d’eau mais surtout de vision de la logistique elle-même. On aurait aimé par exemple y lire des préconisations sur les ports intérieurs et plate-formes trimodales, ainsi que des développements sur l’aménagement des têtes de bassins…

Aux Politiques maintenant de reprendre la copie. La vigilance est de mise en ces temps d’inflation, pour que le fluvial ne fasse pas les frais d’arbitrages budgétaires guidés par des priorités intermodales autres.

En synthèse : Stratégie 2023-2042 et propositions de programmation

Les préconisations sont structurées en trois scénarios pour les dix ans qui viennent, quinquennat par quinquennat :
- Le scénario « cadrage budgétaire », à 54,8 milliards d’euros sur 2023-2027. C’est le choix de Bercy
- Le scénario « Planification écologique», à 84,3 milliards. C’est le choix du COI, mais aussi celui auquel se réfère d’ores et déjà le ministre Clément Beaune (jeudi dernier dans son discours lors des vœux de l’UTP)
- Le scénario « Priorité aux infrastructures», à 98 milliards d’euros. C’est la préférence d’une partie des membres du COI.

A noter qu’aucun scénario n’atteint les sommes totalisées lors de l’exercice de compilation du COI en mars 2022, à 111,6 milliards sur la période 2023-2027.
La trajectoire financière préconisée par le COI pour les voies navigables –

La LOM avait retenu une montée en puissance très lente, effective seulement en 2031, vers un niveau de 181 M€/an, avec un « creux » très pénalisant pour VNF de 2023 à 2027 autour de 100 M€/an, période nécessitant des travaux importants de régénération sur l’ensemble des débouchés du CSNE. Le COI propose dans ce scénario de combler partiellement ce creux, et de poursuivre la croissance jusqu’à 215 M€/an à partir de 2031, compte tenu notamment du fait que les hypothèses de dénavigation partielle du réseau proposé par le COI 2018 n’ont pas été retenues. L’achèvement du programme de modernisation de l’exploitation du réseau, avec 33 M€ 2021/an jusqu’en 2030, est naturellement maintenu. Rappelons que le scénario préconisé par le COI affichait un niveau de 244 M€/an…

Les maillons fluviaux sur lesquels le COI insiste –

· Le canal Seine-Nord-Europe et le projet Mageo qui le complète.

· MAGEO (Mise au gabarit européen de l’Oise). Il s’agit d’aménager 42 kilomètres entre Creil et Compiègne. Le COI considère qu’il y a urgence à établir un plan de financement stabilisé de cette opération pour un engagement dès 2023.

· La mise à grand gabarit du secteur Bray-Nogent de la Seine. Pour le COI il s’agit là d’une priorité qui justifie que l’on accélère par rapport à la LOM. « En cas de non réalisation du projet », alerte-t-il, « près de 200 000 camions pourraient être remis sur les routes à l’horizon 20 ans. »

Les maillons fluviaux considérés comme secondaires –

· Un grand aménagement du canal du Rhône à Sète n’est pas nécessaire. Il s’agit essentiellement de le conforter et de l’entretenir.

· Saône-Moselle / Saône-Rhin. Le COI acte le retrait de ce canal du RTE-T, préconisant que l’Etat examine de façon approfondie les possibilités de développement de l’offres de transport de marchandises combinant le fer et le fluvial avec les infrastructures existantes et les projets déjà prévus concernant l’axe Rhin-Rhône.

Sur l’état du réseau –

« L’état du patrimoine fluvial conduit encore à des restrictions d’usage. Les projets fluviaux ont commencé à répondre aux premières urgences de sauvegarde du patrimoine et la modernisation des écluses s’est poursuivie mais est loin d’être aboutie. Le rythme de vieillissement du patrimoine routier non concédé et fluvial s’est ralenti, mais la tendance n’est pas encore inversée ».

Sur le verdissement des flottes –

« Le verdissement indispensable des flottes (navires et bateaux fluviaux) représente d’importants efforts financiers. La batellerie ne pourra pas y faire face seule et des appuis publics lui sont indispensables. Les installations de distribution d’énergies alternatives sur les ports supposent un soutien public ».

Sur le report modal –

« L’étape la plus élémentaire est que les gestionnaires d’infrastructures et propriétaires publics réservent l’occupation de leur foncier embranché aux activités qui utilisent le fer. Pour le mode fluvial, la Compagnie Nationale du Rhône mène par exemple (au port Edouard Herriot à Lyon) une politique dynamique de résiliation des conventions de ses occupants qui n’utilisent plus la voie d’eau, et conditionne les nouvelles occupations à l’usage du fleuve. La SNCF pourrait très avantageusement adopter une politique analogue sur son foncier, plutôt que de constater que des sites sont devenus inactifs et déposer les embranchements ».

Mobilettre «Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition.»