La navette hybride bioGNC-électrique Green Deliriver prévue pour 2024

La décarbonation des transports passe aussi par le rétrofit ou le remplacement de bateaux fluviaux dont certains sont en service quasiment à l’échelle d’une vie humaine. Avec le programme Green Deliriver, Segula Technologies et ses partenaires s’activent d’abord à présenter un automoteur dont la motorisation sera remplacée par une architecture électrique/bioGNC. La phase 2 sera consacrée à la création d’un nouveau pousseur qui s’appuiera sur un groupe hybride similaire.

Qui peut encore ignorer que la mobilité durable passe à la fois par le verdissement des véhicules et le report modal ? Il s’agit tout à la fois de décarboner le secteur des transports, améliorer la qualité de l’air, réduire les nuisances sonores et participer au décongestionnement des villes. Comme le rappelait Clément Leroy, Responsable BE Naval chez SEGULA Technologies, dans une présentation dédiée au programme Green Deliverer, « la filière logistique fluviale est sous-exploitée en France ». Elle ne représentait en 2019 que 2 % dans le transport de marchandises dans l’Hexagone, contre 88 % et 10 % respectivement pour le routier et le ferroviaire.

Une flotte dépendante du GNR

Pour rendre vertueux le transport fluvial, il va déjà falloir le libérer de sa dépendance au gazole non routier (GNR). Avec du bioGNC ? L’offre n’existe pas encore. Pire, la législation européenne ne la connaît pas : aucune notion à ce sujet. « Et quand la notion n’existe pas, c’est que c’est interdit », traduit Clément Leroy. Pourtant, en matière d’empreinte carbone, d’impact sur la qualité de l’air, et de coûts d’exploitation, l’hybridation électrique/bioGNC coche toutes les cases avec des notes maximales par rapport à l’hydrogène renouvelable ou pas, le GTL, le GNL, l’électrique à batterie ou le bioGNC seuls, ou d’autres associations d’énergies.

C’est pourquoi Segula Technologies a voulu défendre sa vision d’un automoteur capable de réduire les émissions de CO2, d’oxydes d’azote et de particules fines de respectivement 90, 98 et 98 %. Avec ses partenaires, Segula se mobilise sur 2 fronts. « Effectuer le rétrofit du bateau est pour nous un travail standard. En revanche aller à la Commission centrale pour la navigation du Rhin a été un très gros challenge à relever », détaille Clément Leroy.

Dérogation au niveau européen

Pour naviguer sur un axe restreint précis comme ça sera très certainement le cas pour le bateau rétrofité, une dérogation locale aurait suffi. Mais Segula Technologies a toutefois fait le choix d’effectuer la démarche au niveau européen. L’institution se réfère à un standard – l’Es-Trin – qui fixe les prescriptions techniques des bateaux de navigation intérieure.

« Sur la quinzaine de projets défendus à la CCNR en 2022, dont un grand nombre concernant l’utilisation de l’hydrogène, seulement 2 ont obtenu une dérogation, dont le nôtre. Depuis la publication officielle en janvier 2023, nous sommes en mesure de rétrofiter un automoteur. Nous sommes les seuls sur cette architecture employant le bioGNC. C’est une véritable première européenne », se réjouit Clément Leroy.

Il s’agit cependant d’une dérogation unitaire : « Pour un autre automoteur, il faudra à nouveau en demander une. Mais au lieu de nous mobiliser dessus pendant 8 mois, nous n’y passerons que la moitié de temps, en étant reçus que devant un seul comité au lieu de 2. En quelque sorte, la première dérogation fait office de jurisprudence, mais il en faudra plusieurs pour que le bioGNC soit officiellement reconnu dans la réglementation ».

Le rétrofit de l’automoteur Sydney

« En France, l’âge moyen des bateaux fluviaux est de 48 ans. Le moteur fonctionnant au GNR ne doit avoir que 10 à 15 ans sur l’automoteur qui nous intéresse. C’est nous qui avons cherché un bateau de ce type à rétrofiter. Coalis a accepté de nous confier pour cela son Sydney que nous avions identifié ».

Quelle va être l’architecture de son nouveau groupe motopropulseur ? « Il s’agit d’une motorisation hybride, où ce sera toujours le moteur électrique qui fera tourner l’hélice d’origine. Il y aura 2 packs lithium d’une capacité énergétique de 60 kWh ». Pour alimenter ces batteries, NGV Powertrain va fournir 2 génératrices après un travail de R&D en interne à l’entreprise italienne : « A la base, ce sont des moteurs Euro 6 de camions, adaptés pour fonctionner au bioGNC. Ils développent chacun une puissance de 230 kW. Ce n’est pas évident de trouver un motoriste qui accepte un développement spécifique pour seulement 1 ou 2 blocs ».

Et pour l’homologation ? « Intégrés dans un bateau, nous pouvons disposer de ces moteurs pour une exploitation « on board » de 48 mois, sans passer par un processus complet d’homologation. Il aurait autrement fallu le faire tourner 5 000 heures sur un banc d’essai. En contrepartie, nous devrons fournir régulièrement des données sur son fonctionnement ».

En service en 2024

« A l’avant du bateau, 3,9 tonnes de bioGNC seront stockés à 250 bars. C’est une zone Atex, éloignée de la timonerie. Un conduit doit donc traverser tout le bateau, avec une distance à respecter avec la coque en cas de flexion. Le tout est sécurisé avec un système à double paroi », indique Clément Leroy.

Pour le transport de vrac principalement, l’automoteur présente une charge utile de 720 tonnes, auxquelles pourront s’ajouter 750 tonnes en poussant une barge. Sur le trajet, à Gennevilliers, devrait s’ouvrir une très importante usine de méthanisation qui apporterait une boucle vertueuse aux travaux de Segula Technologies et de ses partenaires.

Le bateau devrait être opérationnel courant 2024, avant l’ouverture des Jeux olympiques de Paris.

Phase 2

« Pour le traitement du Sydney, notre bureau d’études est chargé de toutes les opérations depuis la faisabilité jusqu’à la réalisation. Avec la dérogation obtenue au niveau européen, Green Deliriver est passé du stade de projet collaboratif à celui de programme. D’autres armateurs ou des investisseurs peuvent déjà nous contacter pour rétrofiter leurs bateaux fluviaux. De grandes compagnies en possèdent des centaines d’unités. Mais une grande partie de la flotte appartient à de petites structures avec seulement 1 ou 2 automoteurs », révèle Clément Leroy.

Le rétrofit, c’est la phase 1 de la feuille de route Green Deliriver. Et la phase 2 ? « Nous comptons construire un nouveau bateau autour de la même architecture hybride que le Sydney ».

Il est question d’un pousseur associé à une barge innovante. Dans un document de présentation, cette dernière serait couverte de panneaux photovoltaïques pour assurer la recharge à bord de 40 fourgons utilitaires électriques destinés à la livraison du dernier kilomètre.

L’année 2026 a été avancée pour une mise en exploitation. « Nous souhaitons proposer toute une famille de pousseurs hybrides électrique/bioGNV. Il est important de travailler tous ensemble, quelle que soit l’énergie choisie, quel que soit le bureau d’études qui développe le projet. Le potentiel de bateaux fluviaux à rendre plus vertueux est de l’ordre du millier », conclut-il.