Logistique : leçon de la crise et perspectives avec le plan de relance

Si la crise sanitaire a révélé le caractère primordial de la logistique, ce secteur reste néanmoins fortement routier et carboné. Comment accélérer sa transition écologique ? Tel était l’objet du webinaire organisé par Le journal du Grand Paris le 14 octobre 2020.

« Si la crise sanitaire a révélé l’importance de la logistique, c’est parce que les ports et les aéroports ont continué de fonctionner et de réceptionner des biens, tout comme les modes de transports routiers et ferroviaires, les entrepôts…, et que les personnes en charge de réceptionner les marchandises et de les mettre en rayon dans les magasins [ont continué à le faire]. Tout cela a fait apparaître la logistique comme une fonction vitale indispensable au fonctionnement de la société » : c’est sur ces propos introductifs d’Antoine Berbain, directeur général d’Haropa-Ports de Paris, que s’est ouvert le webinaire organisé par Le journal du Grand Paris sur le thème « Quelle transition pour la logistique ? »

Rassemblant également Abdelkrim Marchani, chargé de compte fret chez SNCF réseau, Michel Gioria, directeur régional de l’Ademe Ile-de-France, et Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris, la réflexion a fait émerger quelques tendances structurantes. La crise a, en premier lieu, renforcé le e-commerce. « Les deux mois de confinement ont fait progresser le e-commerce de l’équivalent de trois années de croissance », a assuré Jonathan Sebbane. Et de citer l’exemple d’un de ses clients, passé de 10 000 à 15 000 colis transportés par jour, ou encore d’une enseigne de distribution sportive, dont la part de ventes réalisées en numérique a progressé de 15 à 30 %, sans diminuer au déconfinement. « Il existe des phénomènes de cliquet et le retour en arrière sera difficile », a prédit le spécialiste de l’immobilier logistique.

Trois ans de croissance en deux mois

Un secteur, qui, justement, « apparait désormais comme une valeur refuge, avec énormément de liquidités », a-t-il poursuivi, mettant en garde contre l’apparition d’une bulle spéculative. Antoine Berbain l’a confirmé : « nous avions déjà des demandes de surfaces très fortes en lien avec le e-commerce, tant à Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) qu’à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Notre défi est donc de faire monter la capacité de stockage sur ces plateformes et de les densifier ». Nul doute donc que les bâtiments logistiques à étages, comme Paris Air2, inauguré à Gennevilliers début 2019, auront tendance à se multiplier.

Du côté de SNCF réseau, Abdelkrim Marchani constate également une forte poussée de la demande. Cela a notamment été le cas, au printemps, dans le port de Rouen, où les volumes de céréales à transporter ont atteint des niveaux records. « Mais la vraie question qui nous est posée c’est : est-ce que notre infrastructure est capable de répondre à cette demande ? Le gouvernement souhaite un doublement de la part du rail dans le fret d’ici à 2030, mais cela n’arrivera qu’à deux conditions, a poursuivi l’expert du réseau : il faut que l’infrastructure soit en capacité, mais aussi que les industriels ferroviaires regagnent la confiance de leurs clients ».

Des nuisances de moins en moins acceptées

Deuxième grande tendance : « la crise a fait entrer la logistique dans le débat public », a constaté Jonathan Sebbane. Les débats sur le ZAN (zéro artificialisation nette), les questions de logistique urbaine, se sont ainsi invités dans les programmes des candidats aux élections municipales. « Mais si la logistique reste une activité assez mal perçue, c’est une bonne chose [qu’elle fasse l’objet de débats] car cela permet de l’inscrire dans les vrais leviers de construction de la ville », a poursuivi le dirigeant de Sogaris.

Comment faciliter la transition écologique du secteur, alors que la fiabilité et le coût restent les deux critères prédominants des acteurs ? Pour Michel Gioria, la réponse est (presque) simple : il faut que, de plus en plus, les aspects environnementaux deviennent déterminants pour la fiabilité et l’équation économique du secteur. « On ne change pas le bilan environnemental d’un secteur d’activité en deux ou trois ans », a-t-il relevé. D’où la nécessité de la mise en place d’une politique continue sur plusieurs années qui provoque des reports modaux et modifie l’impact environnemental du secteur.

Le directeur régional de l’agence de la transition écologique se veut optimiste : les mécanismes d’accompagnement mis en place depuis 2015 dans la filière ont révélé à quel point les transporteurs, les chargeurs et les commissionnaires se trouvaient de plus en plus souvent soumis à une contrainte environnementale de la part de leurs clients.

L’excellence environnementale permet également à un secteur chroniquement confronté à des difficultés de recrutement d’augmenter son attractivité. Le plan de relance gouvernemental, qui met l’accent sur les solutions « vertes », est donc une opportunité à saisir pour accélérer le mouvement. « Il est important d’embarquer un maximum d’entreprises à l’occasion de ce plan de relance, a insisté Michel Gioria, les acteurs qui ne prendront pas le train – ou la barge – de ce plan risquent de décrocher. » Car plus le temps passe, plus le coût pour entrer dans la transition écologique, apprendre les bonnes pratiques, construire le management approprié, adapter ses process, devient élevé.

Pousseurs et péniches à hydrogène

Sur le terrain, les acteurs sont déjà au travail. SNCF réseau, par exemple, cherche à multiplier les occasions de dialogue avec le monde économique. Que les entreprises soient déjà utilisatrices, ou non, du rail, il est primordial de comprendre leurs besoins, d’imaginer les flux futurs, pour construire à temps les infrastructures nécessaires, a expliqué Abdelkrim Marchani.

Haropa, de son côté, travaille avec Voies navigables de France à généraliser sous cinq ans les bornes électriques à quai. « L’objectif est bien d’aller vers le zéro émission, y compris pour le transport fluvial même s’il est déjà le plus vertueux », a promis Antoine Berbain. Il s’est également fait l’écho des projets de pousseurs et de péniches à hydrogène de certaines compagnies. « Mais il faut que l’hydrogène vert soit bon marché et au rendez-vous », a-t-il remarqué. Il se réjouit ainsi de voir la société H2V souhaiter produire ce vecteur énergétique dans la zone industrielle de Port Jérôme (Seine-Maritime).

Les infrastructures ne suffisent pas toujours. « Il nous faut aussi apprendre aux entreprises la langue du transport ferroviaire. Car aujourd’hui, la langue du transport, c’est le routier. Tout le monde parle et comprend le routier. Mais nous avons besoin que tout le monde se réapproprie le langage ferroviaire », a reconnu le chargé de compte fret chez SNCF réseau.


Michel Gioria l’a rappelé : l’ensemble des dispositifs étatiques destinés au développement de l’hydrogène vert représente environ 2 milliards d’euros d’ici à 2030. « Mais l’un des freins majeurs au développement des carburants alternatifs en Ile-de-France, c’est le prix du foncier. Pour créer des infrastructures de production et de distribution locales, il faut donc faciliter la libération de foncier ». Deuxième défi : il est essentiel, a ajouté le directeur régional de l’Ademe, de privilégier les équipements français ou européens « pour que nos pépites soient capables d’industrialiser leurs produits. Mais je ne doute pas, a-t-il conclu, que l’écosystème francilien saisisse cette opportunité. »

Verdir la logistique

Il est tout aussi important de verdir la logistique en amont qu’en aval, a opiné Jonathan Sebbane. C’est pourquoi la multimodalité et la décarbonation des énergies sont, à ses yeux, indissociables. Tout comme il est indispensable de réfléchir à l’entièreté de la chaîne logistique, de l’immobilier au mode de transport : ce secteur implique des investissements lourds qui ont des effets sur le moyen, voire sur le long terme. Si l’on n’y prend garde, des pratiques peu vertueuses risquent donc de s’ancrer, a remarqué le DG de Sogaris. Or, a-t-il déploré, alors que les livraisons au centre de la métropole progressent, les entrepôts s’en éloignent !

Inversement, la mixité programmatique qui consiste, dans un même bâtiment, à faire coexister de la logistique et d’autres activités, peine à décoller. Car, a explicité Jonathan Sebbane, « c’est un sujet difficile en termes d’acceptation, mais aussi d’un point de vue réglementaire ». Mais, a conclu Michel Gioria, une chose est sûre : « le verdissement de la logistique devient un élément-clé de sa compétitivité ».


Réduire les émissions polluantes de la logistique ne constitue que l’un des aspects de sa nécessaire transition écologique. Maîtriser son impact sur la biodiversité et le bruit est tout aussi important, ont remarqué les intervenants et les participants du webinaire. En réalité, les deux vont souvent de pair : les motorisations au gaz naturel et à l’électricité sont bien moins bruyantes que leurs équivalents diesel ou essence. Une barge de 5 000 tonnes est également plus silencieuse que les 250 camions qu’elle remplace, tout comme un train transportant des dizaines de conteneurs. Certains modes de transports, comme le fleuve et le ferroviaire, sont également moins accidentogènes, a remarqué l’intervenant de SNCF réseau.