Pour une transformation verte de la navigation intérieure européenne : les syndicats de salariés prennent position

Les voies navigables européennes sont très vulnérables aux changements climatiques. Le changement climatique modifie déjà et continuera de remodeler radicalement la forme, le volume et la propagation des précipitations. Cela a un impact constant et surtout imprévisible sur la navigabilité des voies navigables européennes. Aussi la mise en œuvre d’une politique climatique ambitieuse est urgente, ainsi que la définition de mesures structurelles en faveur de  la navigation intérieure compte tenu de son rôle dans l’évolution vers un transport plus durable. Vous trouverez ci-dessous la position de l’European Transport Workers’ Federation – ETF (Fédération européenne des travailleurs des transports) en ce qui concerne la transition écologique.

L’état actuel du secteur

La crise financière et économique de 2008 a secoué la navigation intérieure européenne et a conduit à une situation de surcapacité. Parallèlement des évolutions juridiques ont abouti à l’obligation d’investir davantage. Cela a été le cas du transport par bateaux citernes , avec l’obligation de passer à des bateaux à double coque. Le secteur a mis dix ans pour se redresser et la crise du Covid-19 vient de nouveau affecter la capacité du secteur à investir davantage.

Le secteur est dominé par des TPE/PME et caractérisé par le fait que la majorité des bateaux sont entre les mains de propriétaires-exploitants. Plus d’une décennie après la précédente crise économique et financière, la Covid-19 a eu un impact drastique sur le secteur, particulièrement sur le transport de passagers mais également, dans une moindre mesure, sur le fret fluvial. Alors qu’au tout début de la pandémie une légère augmentation des volumes a été observée, on constate qu’aujourd’hui, après presque un an de vie socio-économique entravée, les volumes de fret, en général, ont baissé de 30%.

Un arrêt presque complet du transport de passagers est intervenu après des années de croissance dans le secteur.La flotte des croisières fluviales compte plus de 346 navires et un total de 50 616 capacités de lit. La croisière fluviale est une activité en plein essor et chaque année de nouveaux bateaux entrent sur le marché. En 2017, par exemple, 17 nouveaux bateaux avec 2 558 lits supplémentaires ont effectué leur voyage inaugural. La flotte totale a plus que doublé depuis 2004. L’activité des croisières fluviales a augmenté entre 2002 et maintenant avec + 89 % sur le Danube ; + 128 % sur le Rhin ; + 295 % sur le Main-Danube. La Covid-19 a stoppé cette évolution positive, l’ensemble du secteur des passagers s’étant mis à l’arrêt presque du jour au lendemain. La crise en cours risque d’avoir des conséquences dévastatrices pour la saison 2021 car aucune croisière n’a été réservée en raison de l’insécurité persistante causée par la pandémie.

Actuellement, plus de 45 000 personnes travaillent dans le secteur en tant que travailleurs mobiles, travaillant sur des barges et des bateaux de croisière fluviale. Beaucoup d’autres travaillent dans les infrastructures, les ports intérieurs et l’administration. Reconnaître le rôle potentiel de la navigation intérieure dans un avenir durable stimulerait la création d’emplois verts supplémentaires dans le secteur.

Naviguer vers un avenir vert et social

La capacité financière actuelle du secteur à innover et à rénover est très faible voire inexistante, ce qui rend les investissements externes supplémentaires essentiels si le secteur veut atteindre son potentiel de transport vert et contribuer aux objectifs du Green Deal européen.

Certains signes montrent que l’UE a reconnu le potentiel vert du transport fluvial. La Commission européenne a contribué à la promotion de la navigation intérieure via le programme d’action NAIADES. L’actuel NAIADES II « Vers un transport fluvial de qualité » prévoit des initiatives supplémentaires pour créer les conditions d’un mode de transport de qualité : bonne gouvernance, efficacité, sûreté, des emplois de qualité occupés par une main-d’œuvre qualifiée et respectant des normes environnementales élevées. Et le programme NAIADES III récemment annoncé approfondira les différents problèmes à résoudre.

Alors que la navigation intérieure est de plus en plus considérée comme essentielle pour un avenir écologiquement durable, il est nécessaire de rester vigilant et de veiller à ce qu’elle devienne socialement durable. L’automatisation et la numérisation sont souvent présentées comme des étapes logiques pour parvenir à un avenir durable, sans que les aspects sociaux de ces changements soient évoqués. L’automatisation et la numérisation ne peuvent pas être le paramètre par défaut vers un avenir zéro émission. Une approche centrée sur l’homme et la société doit être envisagée. Pour atteindre cet objectif, les investissements dans les compétences et les ressources humaines doivent toujours être intégrés dans les appels à investir dans l’écologisation du secteur. Celles-ci devraient viser le perfectionnement des compétences et l’optimisation du potentiel humain.

En particulier dans la période de transition qui créera des incertitudes supplémentaires, la stabilité et l’attractivité du secteur doivent être la priorité absolue pour au moins maintenir les effectifs actuels. Les programmes de formation et de perfectionnement tout au long de la vie, contribueront largement à cette attractivité, ainsi que des conditions de vie et de travail de qualité tant à bord qu’à terre. Si les membres d’équipage ont une perspective attrayante à long terme, ils continueront à travailler dans le secteur et à façonner son avenir durable.

La nouvelle stratégie de l’UE pour l’adaptation au changement climatique comprend une forte dimension de santé et de sécurité au travail. Nous avons non seulement besoin de réglementations européennes, mais également d’une mise en œuvre nationale stricte pour garantir la référence zéro accident.

Domaines prioritaires pour une transformation verte de la navigation intérieure

LES MOTEURS

La durée de vie moyenne des moteurs de navigation intérieure est supérieure à 30 ans. D’énormes investissements seront nécessaires pour leur renouvellement. Dans le programme de recherche stratégique, le secteur maritime en Europe vise une vision ambitieuse – avoir d’ici 2030 de nouveaux navires à courte distance et de nouveaux bateaux de navigation intérieure à zéro émission. Si nous voulons nous engager à atteindre cet objectif, nous devons nous engager à véritablement moderniser la flotte.

LE CARBURANT

Limiter la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre et de polluants doit être une priorité. Il y a déjà des innovations dans le domaine. Le gaz naturel liquéfié, par exemple, semblait très prometteur, mais ne fournit pas l’échelle dont le secteur a besoin. Le développement futur du réseau de points d’élimination des déchets CDNI est également essentiel pour promouvoir une meilleure élimination des déchets, ainsi que la création de concepts de traitement des résidus gazeux des cargaisons liquides. Tous ces éléments devraient faire partie d’un cadre réglementaire.

L’INFRASTRUCTURE

Une évaluation constante des performances des infrastructures doit également être priorisée pour améliorer la sécurité globale et l’efficacité de la navigation. Les changements climatiques mondiaux créent à la fois situations de crue ou d’étiage exceptionnels qui entravent la fiabilité et les performances globales du secteur et affectent la performance des entreprises et la sécurité de l’équipage.

LES COMPÉTENCES

Conformément aux initiatives susmentionnées, il est essentiel d’investir dans de nouvelles compétences pour garantir que les travailleurs sont préparés aux évolutions à venir de leur métier et protégés lors du processus d’introduction de nouveaux carburants et de leurs procédures de manutention.

L’accord vert de l’UE souligne la nécessité d’un transfert modal vers le rail et la navigation intérieure. Si nous prenons ces objectifs au sérieux, la seule façon d’aller de l’avant, ce sont des investissements massifs.

Le transport par voies navigables peut contribuer de manière significative à réduire les externalités négatives du transport, comme mentionné dans le Green Deal. Cette contribution peut être apportée de deux manières, à la fois en mettant en œuvre le transfert modal et en permettant une utilisation plus efficace de l’énergie et une utilisation accrue de carburants alternatifs, dans l’esprit des objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique.

Dans une résolution adoptée en février 2019, le Parlement européen a également confirmé qu’un transfert modal de la route vers la navigation intérieure est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Le Parlement européen a reconnu que le transport par voies navigables intérieures est essentiel pour réduire les externalités négatives supplémentaires du transport. La transition vers un transport à zéro émission est également inscrite dans la stratégie de la CCNR et dans la déclaration ministérielle de Mannheim.

Pour réaliser ces visions ambitieuses, le transport fluvial a besoin – plus que jamais – d’investissements importants et de bénéficier d’un soutien financier pour la recherche, le développement et l’innovation. Si la navigation intérieure veut rester à la pointe en termes de durabilité, l’Europe doit rester en avance sur ses concurrents mondiaux en termes d’innovation tant dans le matériel que dans son potentiel humain. Dans les années à venir, la recherche et l’innovation dans les nouvelles technologies seront cruciales pour être compétitifs et évoluer vers le zéro émission et permettre au secteur de déployer de nouvelles solutions innovantes pour gérer une plus grande part de marché dans le transport de marchandises.