Le territoire alsacien a le Rhin solide

Le 6 janvier 2023, les Ports de Strasbourg (PAS), Voies navigables de France (VNF), SNCF Réseau Grand Est et le Groupement des Usagers des Ports de Strasbourg (GUP) ont présenté l’importance de l’axe rhénan pour le territoire et sont revenus sur les aléas climatiques de l’année 2022 ainsi que les solutions de résilience mises en place.

L’importance du Rhin dans la logistique européenne

Le Rhin est la principale voie fluviale européenne. Cet axe rhénan est un atout stratégique pour la transition logistique de demain. Les 2/3 du trafic fluvial européen se concentrent sur le Rhin : 330 millions de tonnes sont transportées chaque année sur la totalité sur cet axe. À titre de comparaison, le bassin de la Seine voit transiter 22 millions tonnes de marchandises par an et le bassin Rhône-Saône près de 6 millions. Grâce à la performance du Rhin, le transport fluvial représente une part modale de 54 % pour le trafic transfrontalier du corridor Rhin-Alpes et 15 % du transport de marchandises de l’Alsace.

L’axe rhénan est également un axe majeur en matière de corridor ferroviaire. Les transports fluvial et ferroviaire jouent et vont encore jouer davantage un rôle majeur pour atteindre les objectifs de report modal et de réduction des émissions polluantes tels que prévus dans le Green Deal européen et dans les politiques nationales.

En effet, la stratégie nationale bas carbone prévoit une diminution de 28 % du CO2 émis par le transport de marchandises en 2030 et une décarbonation d’ici 2050. Avec 52,5 millions de tonnes transportées en 2021 sur les voies navigables françaises, le transport fluvial de marchandises a permis d’éviter l’équivalent de plus de 2 625 000 camions sur les routes. Aujourd’hui, l’économie en CO2, que peut entrainer le recours au transport fluvial, est de près de 60 g CO2/t.km, uniquement pour le Rhin. Dans la même logique, le transport ferroviaire de marchandises représente 6 fois moins d’énergie consommée par rapport à la route et 9 fois moins d’émissions de CO2.

Le fonctionnement hydrologique du Rhin

La partie canalisée du Rhin, longue de 190 km, est gérée par Voies navigables de France, opérateur national de l’ambition fluviale et gestionnaire des écluses de Gambsheim sur le fleuve. Sur ce même linéaire, EDF Hydro Est opère également en tant que gestionnaire et exploitant de 8 des 10 écluses à grand gabarit de Kembs à Strasbourg.

VNF et EDF assurent la gestion de l’écosystème fluvial sur tout le territoire français. Ce fleuve canalisé voit notamment son débit régulé par des écluses situées entre Bâle et Iffezheim (au Sud de Lauterbourg). Sur ce secteur franco-allemand du Rhin, il n’y a donc pas de difficulté de navigation. La situation est suivie de près par VNF dont l’un des rôles est d’assurer une gestion hydraulique optimisée. Les débits du Rhin sont relevés et suivis quotidiennement par le Centre d’Alerte Rhénan et d’Informations Nautiques de Gambsheim (CARING) pour assurer une communication en temps réel aux usagers. La navigation n’y est qu’exceptionnellement interrompue en cas de crues majeures.
Pendant la période d’étiage, période où le débit du fleuve est bas, les aménagements du Rhin permettent de poursuivre la navigation en garantissant des niveaux de mouillage suffisants pour permettre aux bateaux de naviguer. Le mouillage est constant, seul le débit diminue.

Sur la partie du fleuve non aménagée, de l’aval du barrage d’Iffezheim jusqu’à la mer du Nord, le Rhin est à courant libre et la situation est très différente, puisque le mouillage disponible pour naviguer diminue avec les débits. L’étiage se ressent ainsi davantage sur cette partie, le point le plus sensible étant le secteur de Kaub (au Nord de Mayence). L’Allemagne a adopté un plan pour réduire la sensibilité de la navigation rhénane aux basses eaux et l’une d’elle concerne l’infrastructure fluviale dans le secteur de Kaub. La majeure partie du trafic fluvial étant en provenance ou à destination des ports de la mer du Nord, les bateaux qui desservent le Rhin supérieur sont aussi impactés, sauf s’ils font des trafics intra-régionaux.

La période d’étiage est classique, naturelle et annuelle, le niveau du Rhin baisse chaque été entre la période de fonte des neiges et les pluies automnales. Le phénomène n’est pas exceptionnel en soi mais peut varier en intensité ou en durée selon les saisons passées.

Retours sur l‘épisode de basses eaux de l’été 2022

Alors que l’été 2022 a été particulièrement chaud, avec une sécheresse sévère, l’ensemble du réseau géré par VNF s’est montré résilient avec 85 % des voies restées ouvertes à la navigation. Ainsi dans le détail, la quasi-totalité du réseau grand gabarit (qui représente 2400 km) est restée ouverte (99% à l’exception de la Moselle amont) assurant la navigation aux acteurs opérant leurs activités sur l’ensemble de ces itinéraires. Du côté du Rhin, l’épisode de basses eaux de 2022 est plus complexe à appréhender car il est multifactoriel. Cet épisode a commencé dès la mi-juillet et s’est terminé fin septembre – début octobre.

Pour rappel, la navigation n’a jamais été interrompue. Cependant, un épisode comme celui-là n’était pas inédit : le Rhin a connu des périodes de crises importantes, voire très importantes,15 fois depuis les 200 dernières années.

Le transport de marchandises fluvial soumis au contexte international en 2022

Les difficultés rencontrées par le secteur fluvial ne sont pas dues uniquement aux questions hydrologiques pendant cette période. Le secteur a aussi été confronté à :

  • La raréfaction des bateaux disponibles du fait des conséquences de la guerre russo-ukrainienne. D’une part, de nombreux bateaux du bassin rhénan ont été mobilisés en Europe de l’Est pour aider au transport de céréales ukrainiennes. D’autre part, la flambée des prix de l’énergie et du gaz en particulier, a conduit à une très forte demande de charbon en Allemagne et a mobilisé les bateaux disponibles pour ce transport, beaucoup plus rémunérateur ;
  • La congestion dans les ports maritimes, conséquence encore importante de la désorganisation des chaines logistiques post-crise sanitaire ;
  • Le renchérissement des prix du carburant des bateaux, comme l’ensemble des énergies, qui a pesé dans la montée des tarifs du transport fluvial.

En raison de ces différents facteurs, le trafic fluvial du PAS est en retrait de 9 % pour l’ensemble de l’année 2022 et s’élève à 6,3 millions de tonnes. La baisse est essentiellement imputable aux matériaux de construction, particulièrement pénalisés par un renchérissement des coûts du transport fluvial et donc en période de basses eaux. À la fin du mois de novembre 2022, 13,6 Mio tonnes de marchandises cumulées ont été enregistrées aux écluses de Gambsheim contre 15,8 Mio sur la même période en 2021, soit une différence de 14%.

L’axe rhénan, un axe de transport résilient

L’axe rhénan est un axe majeur pour le transport de marchandises entre les différents pays européens et possède des atouts qui le rendent unique en son genre en Europe :

  • Le principe de la solidarité des modes de transport massifiés (fer et fleuve) : le corridor ferroviaire Nord-Sud, parallèle à l’axe fluvial, est le plus emprunté d’Europe. Au départ des Ports de Strasbourg, des navettes ferroviaires conteneurs partent chaque jour vers les ports de Rotterdam et Anvers. Lorsque l’un des modes connaît une difficulté, des reports de trafic s’opèrent sur l’autre mode. Ainsi, lors de l’accident de Rastatt qui avait immobilisé le trafic ferroviaire pendant 2 mois en 2017, des volumes de conteneurs s’étaient reportés sur la voie fluviale. De même, lors de l’épisode de basses eaux de 2022, le trafic ferroviaire de conteneurs a pu prendre le relai. Ainsi, aux Ports de Strasbourg, ce mode de transport est en croissance de 12,5 % en 2022 par rapport à 2021, à la faveur de l’augmentation du nombre de navettes ferroviaires au départ du PAS qui est passé de 12 en 2018 à 17 par semaine aujourd’hui. Globalement, le trafic conteneurs aux Ports de Strasbourg atteint près de 400 000 EVP, proche de son record historique, en hausse de 6%.

    Cette solidarité des modes n’est possible qu’au niveau des plateformes multimodales telles que le PAS. Cela requiert des investissements lourds pour permettre ces reports de trafic : dans les dernières années, le PAS a ainsi investi plus de 3 M€ dans la modernisation de la gare de triage et est en cours de réalisation d’une étude de 1,7 M€ en vue d’un nouveau terminal ferroviaire.

    De plus, VNF et SNCF Réseau ont formé un partenariat en 2021 en vue de développer des synergies entre les modes ferroviaires et fluviaux. Deux axes sont travaillés dans le cadre de ce partenariat : développer les capacités de reports modaux entre ces deux modes en cas de problèmes sur l’un des réseaux et proposer des scénarios de restructuration des chaines logistiques bas carbone en se focalisant notamment sur des intégrateurs locaux comme le PAS.
  • Une complémentarité des modes de transport fluvial et ferroviaire à développer : c’est l’objet de la démarche « Laboratoire d’innovation pour le multimodal rhénan (LI-MR) » initiée par VNF et SNCF Réseau dans le cadre de leur partenariat et élargi au PAS pour aboutir ensemble au montage de chaînes logistiques innovantes multimodales (fer/fleuve), à l’image du cas de transport de palplanches pour le compte de VNF. Une première réalisation de cette complémentarité s’est illustrée en décembre 2022 sur le site de Lauterbourg des Ports de Strasbourg : une chaîne logistique 0 camion pour le transport de palplanches de la République tchèque jusqu’aux écluses de Gambsheim : 900 km de train et 50 km de barge.
  • Les gestionnaires d’infrastructure assurent la performance de l’axe. Ces infrastructures requièrent des investissements conséquents pour améliorer en permanence la sûreté, la sécurité, la fiabilité et la disponibilité de la voie d’eau pour un meilleur service aux navigants. Dans le cadre de sa mission de gestion hydraulique, VNF mène notamment une politique de reconstruction et modernisation de ses ouvrages. À ce titre, les écluses de Gambsheim qui fêteront en 2024 leur 50e anniversaire, se voient concernées par un projet d’envergure à 36,4 millions d’euros soutenu par l’Europe. Dès 2021, des opérations de dragage ont eu lieu pour améliorer la circulation des sédiments en amont et en aval du site éclusier. Depuis fin 2022, d’importants travaux sont entrepris sur le sas Ouest pour une durée de 18 mois. À cette occasion, le sas Est a subi un chantier de fiabilisation afin de pouvoir assurer la navigation pendant l’arrêt de son jumeau. À l’issue des 18 mois, la même opération aura lieu sur le sas Est. L’ensemble de ces travaux de modernisation répond à des objectifs européens d’une navigation performante, efficace et durable sur le Rhin.

    Depuis plusieurs années, EDF consacre ainsi 10 millions d’euros en moyenne par an, dans un important programme de modernisation et de maintenance des écluses et des autres infrastructures de navigation (ex : Duc-d’Albe) entre Strasbourg et Kembs.

Une gouvernance internationale unique au travers de la Commission centrale pour la navigation du Rhin exerce un rôle réglementaire en matière de navigation, VNF étant membre de la délégation française dans cette instance en tant que gestionnaire de la voie d’eau. L’acte de Mannheim sur lequel sont bâtis les fondamentaux de la CCNR permet : la gratuité du transport fluvial sur le Rhin, qui ne compte aucun péage du fait de son statut international et la garantie de navigation 24h/24, 365 jours par an grâce aux écluses à double sas.

Ainsi, malgré les différents épisodes de crises traversés, le Rhin s’est toujours montré résilient. Sur le territoire, l’ensemble des acteurs mobilisés autour de cet axe fluvial majeur oeuvre au quotidien de manière concertée pour assurer son entretien, sa surveillance et garantir sa performance optimale. Cette autoroute fluviale européenne historique possède encore un fort potentiel d’évolution.