Compétitivité de la vallée de la Seine : comment redresser la barre ?

Deux jours avant la tenue du comité interministériel de la mer, l’Institut Montaigne – plateforme de réflexion, de propositions et d’expérimentations – publie une note sur l’avenir du port normand « Compétitivité de la vallée de Seine : comment redresser la barre ? ».

L’éventualité que le port du Havre soit relégué à un rôle secondaire à l’échelle européenne n’est plus à exclure. Son déficit de fiabilité, en raison d’un climat social instable, son hinterland mal relié, malgré la proximité de la région Île-de-France et son déficit de compétitivité industriel et logistique sont désormais des faiblesses bien identifiées.

Cette note de l’Institut Montaigne vise à identifier plusieurs actions ciblées, concrètes et de très court terme qui permettraient de donner une forte accélération au développement économique des ports du Havre et de la vallée de la Seine.

Leur concrétisation suppose un fort volontarisme politique, éminemment nécessaire au regard des enjeux, et seul susceptible de rappeler que le recul du port du Havre dans la compétition européenne et mondiale n’est pas une fatalité.

Des opportunités à saisir dans les prochaines années

Malgré les difficultés actuelles, le contexte économique et institutionnel reste en effet porteur pour le développement du port du Havre et de la vallée de la Seine. Les prochains mois constitueront donc une fenêtre d’opportunités unique à saisir pour les acteurs publics et privés.

D’une part, un axe Seine unique émergera en 2021 avec la fusion de ports complémentaires qui permettra de renforcer leur compétitivité, HAROPA devenant ainsi le premier port de commerce de France, avec près de 120 millions de tonnes de trafics maritimes et fluviaux par an et plus de 130 000 emplois directs et indirects. D’autre part, des investissements massifs ont été réalisés ou votés ces dernières années (accès fluvial direct à Port 2000 au Havre, rénovation des écluses, usine éolienne…) et devraient porter leurs fruits à court et moyen termes. Enfin, les ports font partie intégrante de la stratégie de réindustrialisation nationale, le gouvernement octroyant aux activités industrialo-portuaires une enveloppe de 200M€ dans le cadre du plan de relance, à destination principalement des projets de croissance verte.

Placer la transition écologique et les innovations logistiques au cœur du développement

Les solutions proposées dans ce rapport seront donc complémentaires des grands projets d’investissement présents ou à venir, afin de maximiser le potentiel des infrastructures qui seront créées ou rénovées dans les prochaines années.

Elles donnent également une part prépondérante aux objectifs de transition écologique, alors que les ports ont un rôle éminent à jouer dans ce domaine et que l’augmentation du trafic conteneurs ne pourra pas se traduire indéfiniment par une augmentation du trafic routier. Il s’agit non seulement d’un impératif au regard des objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par l’État, mais également d’une condition d’acceptabilité des populations des agglomérations havraise, rouennaise et parisienne.

Enfin, conscient que les infrastructures portuaires peuvent être le fer de lance des stratégies de relocalisation des activités industrielles, ce rapport souhaite identifier les leviers de croissance existants dans ce domaine et en premier lieu au sein de la filière logistique. L’exemple des ports du Benelux et d’Allemagne, dont la compétitivité repose sur une automatisation poussée, une rotation rapide des stocks et plus largement le souci constant des différents acteurs de gagner du temps, à la faveur notamment d’entrepôts nombreux et flexibles, doit permettre de mettre en lumière le retard pris par la France dans ce domaine. Cela doit conduire, à l’échelle de la vallée de la Seine, à mettre en place des solutions de transport massifié et une organisation logistique plus optimale.

Axe 1 – Bâtir collectivement une stratégie ambitieuse de report modal vers le fluvial

Alors qu’Anvers ou Rotterdam assurent plus de 50 % de leurs pré et post acheminements par voies fluviale et ferroviaire, au sein de HAROPA, la part du transport fluvial n’est que de 8,3 % et celle du transport ferroviaire n’est que de 5 %.

Le développement du transport combiné, qui vise à utiliser le fer ou la voie d’eau pour transporter des marchandises en conteneur, est un impératif. Cela doit permettre de réduire considérablement l’empreinte des transports sur l’environnement, condition essentielle de l’acceptabilité du développement des activités portuaires par les populations des agglomérations havraise, rouennaise et parisienne. Ensuite, le développement des modes d’acheminement massifiés constitue l’unique moyen d’exploiter pleinement la capacité du Port du Havre conçu pour accueillir 6 MEVP/an.

La progression du fret fluvial ne peut reposer que sur une volonté collective et une coordination efficace des acteurs publics et privés de l’axe Seine. Notre conviction est que des mesures contraignantes – dispositions législatives – seraient inadaptées en premier recours et deviendraient un facteur de blocages, qui repousserait encore de plu-sieurs années la réalisation des objectifs de report modal.

Il est dès lors proposé de rassembler les autorités portuaires et les opérateurs privés, sous l’égide du délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, afin de fixer collectivement des objectifs chiffrés de report vers le fret fluvial à horizon 2023, avec des objectifs intermédiaires dès 2021 et 2022. Cet horizon de court terme doit permettre d’identifier, dès les premiers mois, les premiers résultats d’une dynamique vertueuse.

Pour accompagner la réalisation de ces objectifs, les opérateurs privés bénéficieraient, de manière expérimentale, de trois mesures incitatives qui doivent permettre de compenser en partie le surcoût structurel du transport fluvial :

  • Une concentration des aides au transport combiné sur l’axe Seine.
  • La mise en place d’un système de bonus afin de mutualiser les coûts fixes de manutention du transport fluvial.
  • La mise en place d’un label permettant de valoriser les chargeurs prenant en compte l’impact environnemental des transports dans leur stratégie de développement économique.

À défaut d’accord collectif entre les parties prenantes ou si les résultats de cette expérimentation étaient insuffisants, des mesures plus contraignantes – annoncées dès le début des négociations – seraient mises en œuvre. L’État pourrait décider de réviser l’article 35 du projet de loi d’orientation des mobilités en requalifiant les conventions de terminal en contrats de concession. Ce nouveau régime offrirait des prérogatives beaucoup plus importantes à l’autorité portuaire pour imposer des objectifs de report modal.

Axe 2 – Faire des infrastructures portuaires le fer de lance d’une stratégie de relocalisation des activités industrielles

Afin de renforcer l’attractivité de l’axe-Seine face à une importante concurrence européenne, une meilleure prise en compte des enjeux de compétitivité industrielle est vitale. D’autant plus que le Royaume-Uni a annoncé vouloir créer des « ports francs », posant un défi d’attractivité au continent.

Il est proposé de développer un ensemble de zones de compétitivité logistique le long de l’axe-Seine. Ces zones établies dans un but de stimulation de l’activité industrielle et logistique devraient :

  • Garantir une facilité d’implantation : ces zones bénéficieraient d’avantages – exonérations de droits de douanes, d’impôts sur les sociétés et de fiscalité foncière – qui seraient ciblés, dégressifs et limités dans le temps ;
  • Être rapidement accessibles : ces zones seraient instituées sur proposition du ministre de l’économie et des finances en concertation avec les collectivités locales et HAROPA.
  • Offrir des solutions de report modal : les conditions financièrement avantageuses offertes par la zone de compétitivité compenseraient en partie le surcoût du foncier des zones en bordure de voie d’eau et amélioreraient donc l’attractivité de ces dernières face à l’offre de foncier rural en bordure d’axes routiers.
  • Être strictement encadrées : contrepartie des avantages financiers, la création de zones de compétitivité ne saurait être efficace que si les activités implantées contribuent effectivement à la croissance des trafics massifiés de marchandises.