Pour une manutention plus efficace des bateaux de navigation intérieure dans les ports maritimes

Le Secrétariat de la CCNR a établi un premier état des lieux concernant la problématique de l’efficacité du chargement et du déchargement des cargaisons de bateaux de navigation intérieure dans les principaux ports maritimes. La congestion au niveau des ports maritimes ainsi que la position commerciale plus faibles des opérateurs du secteur de la navigation intérieure par rapport à ceux du secteur maritime notamment sont au cœur de cette problématique. Par ailleurs, les retards et la congestion au niveau des ports maritimes ont également été exacerbés par la crise sanitaire.

Au fil des ans, les voies navigables intérieures ont contribué au développement et à l’exercice des activités portuaires. Aujourd’hui, les grands ports maritimes sont des lieux de transbordement importants, non seulement pour les navires de mer, mais aussi pour les bateaux de navigation intérieure, ceux-ci constituant l’interface entre le commerce maritime et le transport vers et depuis l’arrière-pays.

Il est essentiel d’assurer un chargement/déchargement plus rapide et plus efficace des cargaisons de bateaux de navigation intérieure dans les ports maritimes pour renforcer le rôle de la navigation intérieure en tant que moyen de transport économiquement pertinent. Or, en particulier dans les ports occidentaux, les bateaux de navigation intérieure doivent encore subir de longs temps d’attente dans les ports maritimes. Cette situation a un impact négatif sur le transport fluvial. En outre, des événements récents tels que la crise due à la Covid-19, l’incident du canal de Suez (blocage du bateau « Ever Given »), ainsi que le Brexit, ont entraîné une augmentation des problèmes de congestion au niveau des ports maritimes, soulignant également leur vulnérabilité et la nécessité de trouver des solutions pour relever ce défi.

Plusieurs facteurs interdépendants influencent la manutention dans les ports maritimes et sont une source d’inefficacité pour le transport fluvial de marchandises

Les problèmes de manutention auxquels est confronté le transport par navigation intérieure dans les ports maritimes ne sont pas nouveaux. Aujourd’hui, les inefficacités qui pèsent sur la manutention des marchandises, ainsi que la congestion des ports maritimes, demeurent des obstacles pour la navigation intérieure, avec de multiples facteurs sous-jacents :

  • L’augmentation de la demande mondiale et la croissance du trafic de conteneurs ;
  • L’utilisation de porte-conteneurs plus grands ; en effet, les économies d’échelle concernant les bateaux et les opérations dans les terminaux maritimes génèrent des pics de demande plus importants en termes de capacité de manutention, ce qui entraîne des files d’attente pour les bateaux fluviaux ;
  • L’absence de planification coordonnée du débit pour l’ensemble des terminaux maritimes ;
  • L’absence de relation contractuelle directe entre les terminaux maritimes et les exploitants fluviaux ;
  • Des processus de chargement et de déchargement plus longs pour les bateaux de navigation intérieure, qui sont tenus de s’arrêter à différents terminaux dans l’enceinte du port maritime ;
  • Une capacité globalement limitée et l’absence de capacité de manutention dédiée au transport fluvial au niveau des terminaux ;
  • Des horaires de transport maritime de ligne peu fiables ;
  • Le durcissement croissant des conditions de surestarie et de détention par les entreprises de navigation maritime, exerçant une pression accrue sur les délais dans lesquels les conteneurs peuvent être chargés ou déchargés gratuitement au cours d’une escale maritime et augmentant encore davantage les pics d’activités.
Traitement prioritaire des marchandises maritimes par rapport aux marchandises fluviales

Au-delà de ces facteurs, en cas de perturbation dans les ports maritimes, la priorité pour la manutention est généralement donnée aux navires de mer transportant des marchandises, ce qui joue contre les autres maillons de la chaîne d’approvisionnement, y compris les bateaux à marchandises de navigation intérieure.

L’une des principales raisons de cette situation est la forte position commerciale des acteurs maritimes par rapport aux exploitants fluviaux.

  • En effet, les marchandises transportées par des barges porte-conteneurs sont généralement livrées aux terminaux maritimes en petits volumes et par plusieurs fournisseurs différents au lieu d’être rassemblées et livrées par un seul fournisseur en plus gros volumes. D’un point de vue commercial, il semble donc plus intéressant pour les opérateurs de terminaux et les autorités portuaires de traiter des volumes plus importants. Cette situation est renforcée par :
    • l’utilisation de navires plus grands, qui est censée constituer une garantie supplémentaire d’augmentation de volume et d’activité,
    • le fait que les exploitants fluviaux, pour garantir la fiabilité des opérations de transport, doivent par conséquent prévoir d’importantes marges de temps lors de la planification des passages par les terminaux, ce qui a également une incidence sur la fiabilité des opérations de transport dans un terminal maritime. Dans la pratique, les exploitants fluviaux doivent soumettre à l’avance leurs demandes de manutention dans les ports maritimes. Le terminal attribue ensuite un horodatage définitif. La même procédure doit être suivie pour chaque terminal. Le problème de ce système, c’est qu’en l’absence de capacité, les horodatages sont retardés ou ne sont pas délivrés.
  • En outre, une vague de consolidation du marché a également eu lieu au cours des dernières décennies dans l’industrie mondiale du transport par conteneurs, créant ainsi des déséquilibres dans le commerce conteneurisé mondial.
Impact négatif sur le transport fluvial

La manutention inefficace des bateaux de marchandises en navigation intérieure a des répercussions négatives, tant sur le plan financier que sur son image. À terme, cela peut entraîner une perte de compétitivité du transport fluvial par rapport aux autres modes de transport. Compte tenu du rôle important donné au transport fluvial pour atteindre la neutralité climatique, cette situation n’est pas favorable au report modal vers ce mode.

Les retards des terminaux à conteneurs peuvent rapidement provoquer un effet domino, c’est-à-dire que les terminaux suivants sont également impactés si les créneaux horaires convenus ne sont plus respectés en raison des retards accumulés aux terminaux précédents. Par exemple, à Rotterdam en 2019 et à Anvers en 2020, les retards atteignaient 20-30 heures en moyenne, et des pics de 60 heures ont parfois été enregistrés.

Du point de vue de l’« image », une manutention inefficace a un impact important sur la fiabilité du transport fluvial :

  • Temps d’attente supplémentaires et retards dans la livraison des conteneurs ;
  • Les temps de rotation moyens des bateaux de navigation intérieure dans l’arrière-pays augmentent ;
  • Les horaires fixes habituels du transport fluvial de conteneurs ne sont pas toujours respectés (si un retard survient dans un terminal, le bateau fluvial peut ne pas arriver à temps pour le créneau horaire convenu pour la manutention au terminal suivant).

Ces inefficacités ont également d’importantes répercussions économiques et financières, en impactant les coûts globaux de transport, par exemple :

  • Des coûts directs tels que le déploiement de bateaux (supplémentaires) pour livrer des marchandises qui auraient dû être livrées par les bateaux bloqués dans le port ;
  • Des coûts indirects tels que :
    • les frais de surestaries et de détention qui sont facturées par les entreprises de navigation pour l’utilisation de leur matériel en dehors de la période de gratuité (dans l’enceinte ou en dehors du terminal),
    • une perte de temps et des coûts administratifs;
  • Cela entraîne finalement une baisse de productivité pour l’exploitant du bateau qui aurait sinon pu utiliser ce temps pour d’autres opérations de transport.
  • En échange d’une capacité de manutention garantie, certains terminaux semblent facturer des coûts supplémentaires au secteur du transport fluvial de conteneurs. Un tel développement n’est pas recommandé.

Si ces coûts ne peuvent être absorbés par les entreprises de navigation intérieure, ils peuvent être répercutés sur les clients finaux. En effet, comme il n’existe généralement pas de lien commercial entre les opérateurs de la navigation intérieure et les opérateurs de terminaux, les opérateurs de la navigation intérieure ne peuvent pas tenir les opérateurs de terminaux pour responsables en cas de retard et leur demander de payer les coûts supplémentaires engendrés par le retard. Ces coûts supplémentaires sont donc généralement supportés par les opérateurs fluviaux eux-mêmes.

Mesures existantes et meilleures pratiques à court et long terme

À court terme, il est clair que la coopération et l’échange d’informations entre les différents acteurs des chaînes de transport et des opérations portuaires peuvent générer des « gains rapides ». Une mesure qui mérite d’être mentionnée à titre d’exemple est l’introduction de lignes directrices pour le transport fluvial de conteneurs dans le port de Rotterdam. Celles-ci s’adressent aux chargeurs et aux transitaires et contiennent des recommandations sur la manière dont toutes les parties intervenant dans les opérations portuaires peuvent avoir une influence sur le développement d’une structure plus transparente et plus efficace pour la chaîne du transport fluvial de conteneurs. Elles soulignent notamment l’importance du partage d’informations et des accords contractuels[1].

À long terme, plusieurs solutions et mesures en cours d’élaboration pourraient contribuer à résoudre le problème de la congestion des ports maritimes et à améliorer la manutention des conteneurs. Certaines d’entre elles résident dans la numérisation, l’amélioration de l’échange d’informations entre les acteurs des ports, d’autres dans le développement de nouveaux concepts de manutention des conteneurs impliquant de nouveaux modèles d’organisation et de coopération entre les différentes parties de la chaîne d’approvisionnement. Il semble évident que les solutions à ce problème doivent combiner des mesures portant sur les infrastructures/capacités mais aussi sur l’organisation de la logistique globale au sein du port maritime.

Regroupement et plateformes

Grâce à la coopération et à la mise en réseau, le flux de marchandises peut être rendu plus efficace en améliorant les concepts de regroupement des conteneurs dans l’arrière-pays et en optimisant les mouvements de conteneurs aux terminaux portuaires. Les marchandises transportées par des barges porte-conteneurs sont généralement présentées sur les terminaux maritimes en petits volumes par plusieurs fournisseurs différents au lieu d’être rassemblées et livrées par un seul fournisseur en plus gros volumes. Pour optimiser la manutention au terminal maritime, le nombre de conteneurs chargés/déchargés par escale peut être augmenté en procédant à leur regroupement.

Outre l’augmentation du nombre de conteneurs chargés/déchargés par escale dans les terminaux maritimes, d’autres avantages peuvent résulter de ce concept. Si un bateau dessert un ou deux terminaux maritimes au lieu de se rendre à plusieurs terminaux en un seul voyage, la manutention peut être optimisée dans les terminaux maritimes, ce qui conduit à une plus grande fiabilité. En fonction de l’emplacement de la plateforme, le nombre total de kilomètres peut être réduit, ce qui pourrait également offrir des opportunités pour les bateaux fonctionnant sur batteries par exemple. Ce concept présente cependant aussi des inconvénients, le principal étant une opération de transbordement supplémentaire entraînant un surcoût. Actuellement, ces coûts sont supportés par le secteur de la navigation intérieure.

Ces regroupements peuvent s’envisager dans les ports, dans l’arrière-pays ou sur des plateformes de délestage.

Numérisation

Le partage et/ou l’échange de données sont devenus essentiels dans un monde globalisé où les processus de planification doivent être aussi efficaces que possible. Un défi majeur consiste donc à rendre les systèmes d’information compatibles entre eux afin qu’ils puissent être utilisés par tous les acteurs intervenant dans le processus. Une condition préalable est la volonté de tous les participants au processus de mettre en commun leurs informations.

À cet égard, les systèmes de gestion des postes à quai garantissent les échanges de données entre les entreprises et les flux d’information de toutes les parties prenantes au processus.

Capacité et infrastructure

  • Investissements dans des infrastructures dédiées à la manutention des bateaux de navigation intérieure dans les ports maritimes. De petites grues pourraient être utilisées pour améliorer la manutention des bateaux de navigation intérieure et un espace de manutention dédié à ces barges pourrait être aménagé pour réduire leur temps d’attente. Des questions restent cependant en suspens, notamment pour savoir quel acteur assumerait la responsabilité de ces investissements et quelle serait l’analyse coûts-avantages de ces investissements.
    En outre, il serait intéressant d’examiner l’impact de la taille des barges sur le niveau de congestion des terminaux et les implications des différentes tailles pour les économies d’échelle et le coût du transport.
  • Augmenter la taille des sas d’écluse. Cet agrandissement pourrait contribuer à améliorer les conditions de navigabilité et permettre le transit de bâtiments plus grands, améliorant ainsi l’interconnexion entre les différents bassins.
  • Améliorer les infrastructures par la mise en œuvre de programmes nationaux/européens :
    • Il existe de nombreux programmes (généralement pluriannuels) au niveau national qui répondent aux besoins en infrastructures pour la navigation intérieure. La collaboration entre les autorités portuaires et les ministères concernés pourrait être organisée/renforcée de manière à pouvoir déterminer l’infrastructure nécessaire pour résoudre le problème de la congestion/manutention inefficace des barges dans les ports maritimes.
    • Le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) soutient, par le biais du programme MIE (ou « CEF »), la construction d’infrastructures dans les ports européens. Le soutien des États membres est généralement nécessaire pour qu’un projet puisse être subventionné. Les demandes de financement doivent être suffisamment anticipées par les différentes parties pour que les différents projets soient soutenus au niveau national.
Des pistes pour l’avenir

Les solutions doivent combiner des mesures sur les infrastructures mais aussi sur l’ensemble de l’organisation de la logistique au sein du port maritime.

La pandémie de Covid-19 a donné une autre dimension aux problèmes de congestion des ports maritimes, les nouvelles restrictions imposées aux terminaux ayant aggravé les problématiques de congestion. Cette crise a particulièrement mis en évidence trois éléments clés :

  • La nécessité d’atteindre un plus haut degré de prévisibilité des heures d’arrivée et de départ : une initiative prometteuse est l’introduction de l’arrivée virtuelle des bâtiments et l’échange de données standardisées pour l’arrivée « juste à temps » (JAT). L’approche proposée reposant sur l’arrivée JAT part du principe qu’un port fournit un horaire d’arrivée recommandé. Or, comme l’horaire JAT est fixé dans le cadre restreint d’une interface port/bateau, il peut poser des problèmes aux entreprises de navigation, notamment en période de congestion portuaire.
  • La nécessité d’une gestion efficace des créneaux horaires : elle peut alléger les pressions qui s’exercent actuellement sur les ports, les transporteurs et les chargeurs en raison de la congestion, ainsi que de l’imprévisibilité et de l’augmentation des dépenses qui en découlent. Un créneau horaire donne à chaque acteur concerné la possibilité de planifier et de coordonner ses activités en vue d’atteindre l’objectif commun d’une livraison prévisible et en temps voulu. En même temps, la visibilité de la chaîne d’approvisionnement est améliorée.
  • La nécessité de partager les données : un régime de gestion des créneaux horaires qui fonctionne bien dépend fortement du partage des données. En fait, l’objectif de ce régime est de permettre à tous les acteurs concernés d’acquérir une maîtrise commune de la situation, ce qui revêt toute son importance lorsque les calendriers et les prévisions commencent à changer.

Afin de stimuler le report modal vers la navigation intérieure, il convient de s’attaquer au problème de l’inefficacité de la manutention du fret fluvial dans les ports maritimes. La coopération et l’échange d’informations entre les différents acteurs des chaînes de transport doivent se poursuivre et être améliorés. Cela est particulièrement important lorsque des accords contractuels sont conclus. En ce qui concerne les surestaries et les détentions, par exemple, l’établissement de paramètres appropriés avec l’entreprise de navigation pourrait réduire la pression temporelle sur la livraison et la collecte des conteneurs.

Il semble nécessaire de trouver le bon équilibre entre les faibles coûts et la qualité du transport. Par exemple, dans un communiqué de presse[2], l’UENF a souligné la nécessité pour les autorités portuaires de se concentrer sur la qualité plutôt que sur les volumes et le trafic. En fait, cette stratégie a conduit à l’augmentation du nombre de mega-bâtiments qui, étant prioritaires, ont un effet perturbateur sur la qualité globale des opérations portuaires locales. Ainsi, de nombreux ports maritimes européens souffrent de congestion, ce qui agit sur la fiabilité des opérations de navigation intérieure et nuit par conséquent à leur image.

La recherche de cet équilibre nécessite incontestablement des efforts communs de la part de l’ensemble des acteurs impliqués dans la chaîne de transport : autorités portuaires (maritimes et intérieures), États membres, UE, autorités locales/régionales, entreprises de navigation maritime, entreprises de navigation intérieure, chargeurs/expéditeurs, opérateurs de terminaux.


[1] https://www.portofrotterdam.com/sites/default/files/2021-06/inland-container-shipping-guidelines.pdf
[2] https://www.ebu-uenf.org/wp-content/uploads/Port-handling-congestion_EBU-reaction-on-ESPO-20210208.pdf