Canal Seine-Nord Europe : l’opportunité d’une stratégie logistique pour Lille et son aire métropolitaine

Une étude menée en partenariat entre l’Agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole, l’Agence d’urbanisme de l’Artois et la Chaire d’Economie urbaine de l’ESSEC permet de faire le point.

Avec la réalisation effective dans moins de dix ans du canal Seine Escaut, c’est l’ensemble du réseau fluvial régional qui mettra demain en connexion le bassin de la Seine et les ports de l’Europe du nord. La nouvelle infrastructure permettra la navigation de convois de très grande taille (jusque 4400 T), comme ceux circulant aujourd’hui par exemple le long du Rhin. Pour les territoires desservis – dont la Métropole Européenne de Lille (MEL) et l’Artois – il s’agit donc d’une formidable opportunité de développement économique mais aussi de réduction des impacts environnementaux du trafic routier.

Les territoires concernés se voient offrir l’opportunité de profiter à plein de leur localisation au croisement des principaux flux européens nord-sud et est-ouest, situés comme ils sont à l’interface des trois principaux pôles structurant l’Europe du Nord-Ouest : les métropoles londonienne et parisienne et l’ensemble constitué par les ports des deltas (Anvers, Rotterdam, Amsterdam, etc.) et leur hinterland rhénan (Ruhr, Düsseldorf, Cologne etc.).

Cette situation ne comporte pas que des avantages, les flux de marchandises circulent aujourd’hui très majoritairement par la route avec des impacts importants en matière de congestion et d’émission de gaz à effet de serre, mais aussi des risques d’accidents et des atteintes graves à la santé et à l’environnement. Un report du maximum de ces flux vers les modes ferroviaires et fluviaux s’avère donc crucial pour la qualité de vie comme pour notre développement économique.

Pour parvenir à un tel report, il importe de bien comprendre et anticiper la demande, celle des acteurs économiques comme celle des consommateurs. Quels sont les circuits du commerce international ? Comment impactent-ils notre territoire ? Quelles sont les chaînes de valeur liant développement économique et logistique ? Quels effets induits de la numérisation et des choix énergétiques sur la logistique ?

Quand on entreprend de répondre à ces différentes questions en interrogeant les grands donneurs d’ordre, on s’aperçoit que ceux-ci sont sensibilisés à la nécessité de choix plus verts mais qu’ils se heurtent à l’insuffisance de l’offre alternative au routier. Les obstacles sont multiples et de natures diverses : manque de certaines infrastructures ferroviaires ou fluviales, faiblesse des services offerts, avantage donné de fait au routier qui ne paie pas les infrastructures qu’il utilise et ne compense pas ses impacts environnementaux, etc.

Identifier les leviers d’actions suppose de prendre en considération l’ensemble de l’écosystème de la logistique, afin de bien cibler les actions et projets les plus impactants (y compris au niveau local). Il importe d’abord de se placer aux bonnes échelles de réflexion, celles des grands acteurs, et de comprendre ainsi que, dans la majorité des cas, la concurrence entre territoires infra-régionaux est contreproductive. Il est ensuite nécessaire de cibler les bons flux : flux intercontinentaux, interrégionaux, intrarégionaux et locaux, ne relèvent pas des mêmes logiques, et ne privilégient donc pas les mêmes solutions de transport, y compris quand les acteurs sont les mêmes entreprises.

Dans cette optique, il est crucial de casser l’effet frontière et de ne pas cantonner la vision au seul territoire national. D’une part, la majorité des échanges se fait à une échelle bien différente. D’autre part, parce que les plus grands ports et plateformes logistiques d’Europe sont situés de l’autre côté de la frontière. Il est donc essentiel d’assurer le lien avec elles. Les travaux de mise à très grand gabarit se terminent en Belgique sur la Lys comme sur l’Escaut, alors que rien ne semble indiquer une vraie mobilisation côté français pour procéder aux mêmes travaux entre le débouché du Canal Seine Nord Europe et la frontière.

Les atouts du territoire ne se résument pas à sa localisation : des ports et plateformes de haut niveau existent, qui ne demandent qu’à monter en puissance. Ils restent à ce jour nettement sous-dimensionnés par rapport à ceux créés, ou réaménagés, ces dernières décennies chez nos voisins : Port de Liège, plateforme de Bettembourg par exemple, ou encore de Duisbourg, plus grand port intérieur d’Europe. Il faut s’interroger sur l’intérêt de réaliser de nouvelles infrastructures d’un égal niveau d’ambition au sein des Hauts-de-France, si l’on vise à la fois le développement du « hub logistique » et un report modal massif.

Il faudra pour cela dépasser la tentation récurrente de l’émiettement, même si le Canal va offrir à tous les territoires concernés une véritable occasion de réindustrialisation avec un minimum d’impact carbone. Il faudra surtout parvenir à mobiliser les différents acteurs publics et privés autour d’une stratégie d’ensemble, largement concertée, de valorisation d’une logistique voulue et non subie, avec l’ambition d’un report modal massif vers la voie d’eau et le fer.

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Vers une stratégie multimodale pour la métropole lilloise et le cœur de l’ancien bassin minier : freins et leviers du report modal des flux logistiques.

Replay – Événement organisé à la CCI International le jeudi 25 novembre 2021.