Les basses eaux de 2022 n’étaient pas celles de 2018 mais les enjeux restent les mêmes

Pour la navigation intérieure, les phénomènes de basses eaux demeurent un défi majeur, comme le montre une journée d’échanges organisée par la CCNR en janvier 2023. Des actions ont été menées entre 2019 et 2022, d’autres restent à réaliser, en gardant en tête que les analyses comme les avancées se font aussi sur un temps long.

Après deux ateliers, l’un en novembre 2019 et l’autre à la mi-juin 2020, la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) a organisé une nouvelle journée d’échanges sur les phénomènes de basses eaux du principal fleuve européen pour le transport fluvial de marchandises.

L’occasion de rassembler l’ensemble des parties prenantes, des organisations ou institutions, des instituts de recherche, des représentants de chargeurs, d’industriels, d’exploitants de bateaux, des gestionnaires de ports, des logisticiens pour déterminer les avancées faites au cours des quatre ans écoulés, les actions à mener à l’avenir… Alors que 2022 a été une nouvelle année marquée par un épisode d’étiage sévère sur le Rhin après celui de 2018.

Le changement climatique n’explique pas tout

Des premières interventions, il faut retenir la nécessité d’une analyse des phénomènes de basses eaux sur une échelle de temps long et ne pas seulement considérer les années les plus récentes. « Les phénomènes de basses eaux ne sont pas nouveaux puisqu’au cours des 200 dernières années, il y a eu 15 épisodes plus sévères que celui de 2018 ».

Certes, le changement climatique joue un rôle en amplifiant le phénomène « en alternant des périodes de sécheresse plus longues et des événements plus extrêmes ».

Mais au cours des dernières décennies, pour rester dans la course de la compétitivité de la chaine logistique, la navigation intérieure est aussi devenue plus vulnérable à cause de facteurs qui n’ont rien à voir avec le dérèglement climatique ou des conditions météorologiques exceptionnelles. Le transport fluvial a évolué vers des bateaux de dimensions toujours plus grandes et est soumis à des impératifs de respect du « juste à temps ».

2018 n’était pas 2022

D’autre part, les comparaisons entre deux périodes de basses eaux, par exemple celles de 2018 et 2022, ne sont pas complètement pertinentes. « Les impacts économiques d’une période d’étiage ne sont pas transposables à une autre année. 2018 n’était pas comme 2022 ! ».

Autrement dit, le transport par navigation intérieure est influencé par les basses eaux mais aussi par d’autres facteurs comme les évolutions macro-économiques (prix du pétrole, volume des échanges, production industrielle…).

Sur le plan macro-économique, 2022 a été très particulière avec la flambée des prix de l’énergie, l’envolée de la demande de transport de charbon pour compenser l’absence des approvisionnements en gaz russe, les perturbations de la chaine logistique mondiale (congestion du transport maritime de conteneurs et des ports), des bateaux passant du Rhin au Danube pour faciliter les exportations de céréales ukrainiennes dans le contexte du conflit déclenché par la Russie, la poursuite du Covid 19 et le maintien de restrictions dans les ports chinois…

Sur le Rhin, l’une des caractéristiques à retenir du phénomène de basses eaux en 2022 a été son démarrage précoce par rapport à ceux observés dans le passé. « La combinaison de tous les effets a conduit à une situation complexe et assez critique en 2022 ».

La CCNR a présenté quelques chiffres et constats concernant 2022 :

  • En août 2022, un repli de – 41 % du transport fluvial de marchandises par rapport à août 2021 : « l’étiage et (dans une moindre mesure) la guerre en Ukraine sont les deux facteurs décisifs responsables de cette forte réduction ».
  • Les basses eaux se traduisent par une diminution du taux de chargement moyen des navires en juillet (42 %) et août (31 %) 2022.
  • Le nombre de voyages chargés est plutôt constant en juillet par rapport à juin.
  • Les niveaux d’eau ont continué à baisser en juillet, le nombre de voyages chargés a également diminué.
  • En conséquence, une forte baisse du volume total de marchandises transportées sur le Rhin supérieur a été observée en juillet et août (- 49 % en juillet et – 77 % en août par rapport aux mêmes mois en 2021) ainsi qu’une réduction de la capacité de chargement moyenne.
La crainte du « report modal inversé »

Ces préalables en tête, il n’empêche que les basses eaux constituent un défi à relever afin que la navigation intérieure conserve a minima son rôle actuel voire le renforce dans le contexte des objectifs de report modal et de réduction des émissions dans le secteur du transport fixés au niveau international (Déclaration de Mannheim, Pacte vert européen).

De manière plus prosaïque, les bateaux fluviaux sur le Rhin sont incontournables pour certains industriels et chargeurs pour des marchandises de toutes sortes, (dangereuses, volumineuses…) et pour lesquelles les alternatives ne sont pas facilement disponibles.

BASF a rappelé que l’approvisionnement en matières premières en entrée de son site de Ludwigshafen est assuré à hauteur de 54 % par les bateaux fluviaux (25 % par le rail). En sortie, le fleuve présente une part de 29 %, le rail 24 %, la route 47 %. BASF doit composer avec le goulet d’étranglement de Kaub par lequel doivent passer environ 80 % des volumes de transport de et vers Ludwigshafen.

Pour ThyssenKrupp Steel Europe, le volume entrant par le Rhin représente environ 25 millions de tonnes de matières premières pour 4 millions de produits finis et semi-finis partant par le même fleuve.

Du côté des exploitants de bateaux, la crainte a été exprimée « d’un report modal inversé » vers la route ou le rail ou simplement de voir des chargeurs devenir plus réticents à opter pour le fluvial.

Aussi, « pour réduire les émissions et pour répondre aux besoins, il est plus que jamais essentiel de veiller à ce que la navigation intérieure reste un mode de transport efficace et fiable. La résilience de la navigation intérieure face à des phénomènes de basses-eaux doit donc être améliorée, à court, moyen et long terme ».

Quatre axes de travail

Les ateliers de 2019 et 2020 avaient permis d’élaborer un document nommé « Act Now » compilant des statistiques sur les basses eaux et leurs conséquences, un inventaire de mesures en cours et de projets à venir, ainsi que des solutions pour le court, moyen et long terme.

Les échanges lors de la journée de janvier 2023 ont permis de présenter les avancées de certaines des mesures et projets au fil des quatre années écoulées mais aussi de mettre à jour les actions nécessaires. Celles-ci peuvent être réparties autour de quatre axes.

  • Des outils numériques pour de meilleures prévisions

Les outils numériques constituent un premier levier pour réduire les effets des basses eaux sur la navigation intérieure en améliorant les prévisions.

Depuis 2018, des progrès ont eu lieu en ce qui concerne les outils de prévisions du niveau d’eau du Rhin. L’administration allemande met ainsi à disposition des prévisions à 14 jours du niveau d’eau et à 6 semaines du débit et du niveau d’eau, « pour sept échelles rhénanes pertinentes pour la navigation ».

Pour BASF et ThyssenKrupp, « ces outils de prévision constituent un levier essentiel pour se préparer à l’approche d’un événement de basses eaux ».

Parmi les améliorations à apporter aux systèmes : des prévisions à plus long terme (jusqu’à 6 mois) ou une plus grande précision dans les prévisions.

Il a aussi été évoqué le développement de « jumeaux numériques des voies d’eau » afin de proposer des itinéraires fluviaux alternatifs en fonction des basses eaux.

  • Des infrastructures efficientes

Un autre axe de travail essentiel est celui de l’infrastructure fluviale elle-même. Il a été rappelé le plan d’actions en Allemagne « basses eaux du Rhin » lancé en 2019 et qui détaille un ensemble de mesures plus particulièrement concernant les parties moyenne et inférieure du fleuve.

Il a été souligné que les travaux concernant l’infrastructure sont de plus en plus contraints par la réglementation mais aussi par l’acceptation sociétale. Ils s’inscrivent donc dans un temps long de réalisation.

  • Des bateaux adaptés

Les bateaux sont un autre levier pour faire face aux basses eaux, en les adaptant aux conditions de navigation que présentent ces étiages. Par exemple, BASF a investi dans la construction de nouveaux bateaux.

La problématique est d’imaginer des bateaux innovants capables de naviguer lors des basses eaux tout en conservant une utilisation pertinente sur le plan économique.

  • Des optimisations diverses

Les acteurs économiques ont mis en avant d’autres optimisations possibles concernant la logistique de manière globale.

BASF a conclu des contrats d’affrètement sur des durées longues avec des opérateurs disposant de barges qui peuvent naviguer même lors de niveaux d’eau plus bas. ThyssenKrupp a mentionné l’optimisation de la manutention des matériaux et une communication bien préparée comme pouvant aider à limiter les effets d’une période de basses eaux.

Rhenus, a montré l’impact économique du rajout de barges à un convoi poussé, pendant les périodes de basses-eaux, pour pouvoir transporter une quantité identique. L’entreprise a demandé à la CCNR de réexaminer les règles d’équipage pour tenir compte des nouveaux défis de la navigation intérieure, dont font partie les basses eaux.

Source : NPI