Les nouvelles opportunités de marché pour le transport fluvial

La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) publie, en partenariat avec la Commission européenne (CE), des rapports annuels et semestriels portant sur le marché de la navigation intérieure en Europe. Le nouveau rapport thématique, intitulé « Une évaluation des nouvelles opportunités de marché pour le transport fluvial » peut être téléchargé dans son intégralité au format pdf en fin d’article (en version anglaise) ou consulté directement en ligne sous www.inland-navigation-market.org.

Pour la navigation intérieure, la conquête de nouveaux marchés devient essentielle dans le cadre d’une transition vers un secteur des transports plus durable et une Europe neutre pour le climat. La navigation intérieure du 21e siècle connaît également plusieurs goulets d’étranglement, aussi bien du côté de la demande que de l’offre. Du côté de l’offre, les basses eaux et leurs effets négatifs appellent une diversification des zones d’exploitation des bateaux, tendant vers une logistique accordant une plus large place au transport fluvial en milieu urbain où les niveaux d’eau sont moins critiques. Du côté de la demande, les perspectives qui se dessinent pour plusieurs segments de marchandises laissent présager une saturation, voire un déclin (par exemple, dans le secteur du charbon). Si la transition énergétique entraine des modifications pour le portefeuille de produits dévolu à la navigation intérieure, elle est également porteuse de nouveaux marchés.

Les nouveaux marchés exigent du secteur de la navigation intérieure certaines adaptations. En effet, ils génèrent, non seulement, une modification du portefeuille de produits, mais aussi de nouveaux types de logistique, de nouveaux types de bateaux et de nouvelles zones d’exploitation. Par exemple, un important nouveau marché, celui du transport fluvial en milieu urbain, entraîne un changement, non seulement dans le type de marchandises transportées (par exemple des colis au lieu de cargaisons en vrac), mais aussi à l’intérieur des zones d’exploitation (la logistique urbaine remplaçant le transport transfrontalier), ainsi que le recours à d’autres prestations logistiques (transport courte
distance au lieu du transport longue distance) et à d’autres types de bateaux (petits bateaux au lieu de grands bateaux).

Les nouveaux marchés qui ont été identifiés dans le rapport de la CCNR pour le transport par voies de navigation intérieures sont les suivants :

  • le transport urbain de passagers et de marchandises par bateaux de navigation intérieure
  • les nouveaux flux de marchandises stimulés par les stratégies orientées vers l’économie circulaire
  • le transport d’énergies renouvelables ou de composants pour en assurer la production
Le transport urbain

La demande de biens, dont les villes sont importatrices, augmente avec la taille de la population urbaine. Cela conduit également à une augmentation de la demande d’infrastructures de transport. Pour cette raison, l’UE s’attache à promouvoir des systèmes de transports urbains durables. La congestion du trafic dans les villes est la cause de pertes économiques substantielles, estimé à 180 milliards d’euros par an en termes de retard coûts et environ 32 milliards d’euros par an en termes de perte sèche.

Les systèmes de transport actuels reposent principalement sur les combustibles fossiles et ne sont donc pas soutenable à long terme, compte tenu des externalités négatives associées, de la rareté des ressources et de la dépendance énergétique des états de l’UE. Le transport routier est de loin le mode de transport dominant et représente 76,3 % du transport terrestre total de marchandises (hors pipelines) dans l’Union européenne, contre 17,6 % pour le transport ferroviaire et 6,1 % pour le transport fluvial. Dans certains pays, le transport par voie navigable a une part modale plus élevée que le transport ferroviaire, comme aux Pays-Bas et en Belgique.

L’évolution des habitudes des consommateurs exerce une pression supplémentaire sur la logistique. L’essor du commerce électronique et la nécessité du « toujours plus rapide » ainsi que les livraisons personnalisées incitent à la fragmentation des livraisons, ce qui fait que 23 % des véhicules en circulation circulent à vide, selon une étude de cas menée en Autriche. L’augmentation du nombre de véhicules est également liée au phénomène de prolifération de la logistique, selon lequel, du fait des coûts fonciers élevés dans le périmètre urbain, les opérateurs logistiques préfèrent éloigner de plus en plus leurs centres de tri des centres-villes. Ces éléments exercent une pression supplémentaire sur l’environnement dans les grandes agglomérations, car ils conduisent à encore plus de transport. Des solutions innovantes pour la livraison de fret urbain sont nécessaires
pour éviter les impacts négatifs que ce cadre entraînerait sur l’économie et l’environnement.

Les villes situées à proximité et autour des voies navigables pourraient profiter de leur emplacement pour effectuer des livraisons de marchandises dans des secteurs spécifiques plus efficace et moins polluant, grâce à une utilisation accrue des solutions fluviales. De plus, pour des raisons historiques, les voies navigables intérieures sont souvent situées au cœur des centres-villes. Cette caractéristique en fait un élément naturel d’infrastructure adaptée pour fournir des services de transport de différents types (biens pour commerces, restaurants, hôtellerie et hébergement, etc.) dans les zones qui sont de plus en plus exclus du transport routier.

Contrairement au fret routier, la navigation intérieure est un mode de transport non saturé, car il utilise des infrastructures de transport avec des capacités libres. L’absence de congestion facilite les livraisons à temps et l’efficacité globale des flux de transport urbain, tout en générant moins d’accidents et de décès et, par conséquent, une réduction des coûts externes négatifs (coûts de soins de santé, coûts sociétaux dus aux décès…).

Le transport par voie navigable offre donc un potentiel pour la logistique urbaine, comme en témoigne le nombre de projets existants et ceux en cours de développement. Plusieurs projets sont opérationnels, montrant que le transport par voie navigable dans les zones urbaines peut être une activité économiquement viable dans des circonstances spécifiques, malgré la pression concurrentielle du transport routier. Bien entendu, l’une des principales conditions préalables à considérer est l’emplacement de la voie d’eau, qui doit être proche ou traverser les centres urbains. Cela pourrait être le cas dans la plupart des villes, mais pas dans toutes.

Il semble que des segments de marché spécifiques conviennent au transport fluvial dans les villes, notamment le transport de passagers, les colis, les matériaux de construction, les produits alimentaires et de détail ainsi que les déchets. La France, la Belgique et les Pays-Bas apparaissent comme les pays où le transport urbain par voies navigables a le plus de potentiel de développement. Un autre élément intéressant est que de telles solutions de transport semblent viables dans les très grandes villes (comme le montrent les projets à Paris ou Amsterdam) mais aussi dans des villes moyennes comme Lyon ou Lille. L’avantage de la navigation intérieure est qu’elle peut transporter de telles marchandises sous différentes formes (palettes, vrac, fûts, conteneurs…).

Le fait que le transport par voie navigable permette de réduire la congestion sur les routes ainsi que d’autres externalités négatives, en particulier les accidents, qu’il puisse relever les défis de la sécurité et de l’environnement, sont sans aucun doute les facteurs essentiels pour une éventuelle mise à l’échelle. Combiner des bateaux de navigation intérieure à faibles émissions – par exemple entièrement électriques ou des navires à propulsion hybride – avec un système respectueux de l’environnement pour le transport du dernier kilomètre (par exemple, vélos ou camions électriques) permettra de créer un système de transport urbain efficace, propre et durable. De nombreux projets déjà en cours démontrent que cela est possible.

D’autres évolutions technologiques, notamment l’automatisation et la digitalisation, pourrait également jouer en faveur du transport par voie navigable dans les centres urbains, notamment du point de vue des coûts (réduction des coûts de main-d’œuvre lors de la navigation pendant le transbordement par exemple).

Les politiques publiques jouent un rôle important pour le développement de la navigation intérieure dans les centres urbains. Par exemple, en intégrant des clauses spécifiques dans les appels d’offres gouvernementaux relatifs à la construction d’importants projets comme c’est le cas avec le projet du Grand Paris Express. De même, certaines villes européennes restreignent l’accès à des zones spécifiques pour poids lourds à travers les zones à faibles émissions qui peuvent être un levier pour le développement du transport fluvial. Cependant, il reste des obstacles à surmonter pour lui permettre de déployer son plein potentiel. Les obstacles vont des barrières réglementaires à une mentalité traditionnellement biaisée des parties prenantes sans exclure stricto sensu les facteurs économiques :

Obstacle 1 : Réglementation et coûts administratifs
Obstacle 2 : Viabilité économique
Obstacle 3 : Concurrence pour l’espace avec d’autres secteurs dans les villes
Obstacle 4 : Culture du transport routier dans la logistique et manque de connaissances sur le transport par voie navigable

Le transport urbain de marchandises et de voyageurs est une activité où la navigation intérieure répond aux besoins de la société et des gouvernements. Plus les problèmes de saturation des infrastructures routières deviennent importants, plus la navigation intérieure peut se positionner comme une solution adéquate. Cependant, cela suppose un « verdissement » des bateaux de navigation intérieure pour répondre aux exigences de la nouvelle logistique urbaine et pour être « crédible ».

Économie circulaire et le transport de déchets

Une économie circulaire vise à maintenir la valeur des produits, des matériaux et des ressources le plus longtemps possible en les remettant dans un cycle à la fin de leur utilisation, minimisant ainsi la génération de déchets. Trois mots principaux peuvent être associés à ce concept : réduire, réutiliser et recycler. Dans un monde aux ressources rares, la lumière est faite sur des mécanismes de recyclage et de réutilisation de matériaux qui ailleurs trouverait sa fin de vie dans une décharge. Le recyclage des déchets occupe une place importante dans le pilier « économie circulaire », non seulement concernant la collecte en elle-même mais également sur la valorisation de ces déchets. Leur valorisation passe par leur transformation en énergie, principalement l’électricité et/ou le chauffage.

Du côté de l’offre, les bateaux fluviaux, mais aussi les ports intérieurs, jouent un rôle essentiel dans l’économie circulaire. Comme les ports sont principalement situés à proximité des centres-villes, des industries ou terminaux, ils constituent un terreau fertile pour l’industrie du recyclage. En effet, la forte concentration de matières premières et les flux résiduels de nombreuses activités industrielles et logistiques que l’on retrouve dans les ports, ainsi que la proximité des grandes agglomérations urbaines, les positionnent comme des lieux idéaux pour les activités d’économie circulaire.

L’EFIP (Fédération européenne des ports intérieurs) a identifié quelques obstacles au développement de l’économie circulaire dans les ports intérieurs :

• Le manque d’espace pour l’installation de collecte et de traitement
• La dépendance des ports intérieurs vis-à-vis du marché final pour les activités d’économie circulaire et les initiatives entreprises
• Atteindre une masse critique dans un modèle économique d’économie circulaire pour certains déchets pour gagner en rentabilité économique
• Opinion publique négative sur les déchets et le recyclage des déchets
• Long processus de transition vers l’économie circulaire
• Le besoin d’une coopération accrue entre les différents acteurs impliqués dans la transition vers l’économie circulaire
• Traitement en plusieurs étapes de certains types de déchets

La croissance démographique combiné avec une route saturée et les effets externes négatifs provoqués par le transport routier dans les villes, sont des facteurs importants qui offrent un grand potentiel pour le transport fluvial des déchets en milieu urbain.

Nouveaux flux de fret déclenchés par la transition énergétique

La transition économique des combustibles fossiles vers des combustibles alternatifs ou renouvelables est un processus complexe qui est en cours. Les combustibles fossiles ne sont pas seulement gênant d’un point de vue environnemental, mais aussi du point de vue des ressources en elles-mêmes qui sont finies et peuvent s’épuiser, en combinaison avec un croissance de la demande mondiale en énergie. Cette transition implique une profonde transformation de l’ensemble de notre système économique. Cela inclut la navigation intérieure, qui devra appliquer de nouvelles technologies, transformer ses infrastructures, embrasser le social, l’économique, des changements fiscaux et surtout, développer de nouveaux marchés. En effet, la transition des combustibles fossiles ayant un impact sur les volumes de transport en navigation intérieure.

Dans ce rapport, l’utilisation des énergies renouvelables et leur croissance ainsi que l’importance dans le secteur de l’énergie constitue un cadre pour l’analyse de potentiels de la demande de transport en navigation intérieure. Les projections concernant le développement des énergies renouvelables dans un avenir proche sont positifs, notamment en raison des efforts pour atteindre les objectifs du Green Deal européen. D’ici 2025, la part des énergies renouvelables dans la production totale d’électricité devraient atteindre 33 %, dépassant la production au charbon.

Le rapport de la CCNR montre dans quels domaines la navigation intérieure pourrait bénéficier de ces tendances vers les énergies renouvelables et de montrer également les goulots d’étranglement et les obstacles existants à la croissance du transport par voie navigable à cet égard.

Considérant l’importance croissante de la transition énergétique et son impact à long terme sur la navigation intérieure, le transport des énergies renouvelables – et composants associés pour la génération d’énergies alternatives énergies – peut être considéré comme un marché offrant un certain potentiel de croissance pour le transport fluvial.

Cela est dû notamment aux grandes capacités de chargement des bateaux qui sont en adéquation avec la grande taille des lots de nombreuses énergies alternatives. Ces énergies alternatives peuvent apparaître sous différentes formes : énergie éolienne, solaire ou hydraulique, biomasse solide, biomasse liquide (biocarburant, éthanol), méthanol ou hydrogène.

Conclusions

L’analyse détaillée de plusieurs nouveaux marchés différents a révélé un trait commun : de nouveaux marchés pour la navigation intérieure existent et représentent un fort potentiel. Mais ces marchés sont confrontés à la concurrence intermodale, commerciale et à des défis techniques, des risques et des incertitudes à des degrés divers. Certains de ces nouveaux marchés pourraient nécessiter des changements nets comparé au précédent modèle, en termes de technologie de bateau, de conception (comment intégrer des batteries ou réservoirs d’hydrogène à bord), de taille des bateaux ainsi que de logistique.

Bien que cela n’entre pas dans le cadre du rapport, il convient de mentionner que, au-delà de l’utilisation de la navigation intérieure comme mode de transport pour des types spécifiques de marchandises dans les zones urbaines, une nouvelle logistique et de nouveaux concepts d’usage impliquant le transport fluvial pourraient également émerger à l’avenir. Ces nouveaux concepts pourraient renforcer encore l’utilisation des bateaux de navigation intérieure, notamment dans les zones urbaines et pourraient également être considérées comme de nouvelles opportunités pour le secteur. Ces nouveaux concepts pourraient être des navires auto-déchargeurs avec un matériel de manutention embarqué ou des bateaux partagées (plusieurs utilisateurs pour un même bâtiment). De même, les nouveaux usages des bateaux pourraient consister en une « logistique chaîne » où les clients récupèrent leurs marchandises directement sur le bateau (pas de dernier kilomètre), ce qui nécessiterait de concevoir des bâtiments en capacité d’accueillir du public. Les bateaux pourraient également être utilisés comme stocks flottants. Les marchandises, telles que les vêtements, pourraient être entreposées sur un bateau à proximité immédiate des zones de vente et être mis à disposition à court terme en cas de pic de demande.

Si dans l’ensemble, il semble que les transports précités représentent une voie prometteuse et de nouvelles opportunités pour le transport fluvial, ils doivent être accompagnées nécessairement par une action des pouvoirs publics, dans le but de parvenir à une logistique plus durable à l’avenir.

Télécharger le rapport de la CCNR (en anglais uniquement).