Stratégie en matière de développement fluvial en région Hauts-de-France

Dans le cadre des réflexions relatives à la stratégie fluviale à mettre en œuvre au niveau régional et dans l’optique des discussions à venir relatives aux prochains CPER, Entreprises fluviales de France – E2F a consulté ses adhérents, opérateurs de transport fluvial (fret et passagers), afin de déterminer les priorités d’actions (attentes, besoins) à mettre en œuvre, du point de vue des opérateurs suite à la sollicitation de la Région des Hauts de France.

Le réseau fluvial en région Hauts-de-France a l’avantage de disposer :

  • D’une part d’un réseau fluvial à grand gabarit qui traverse les grandes villes de la région et les connecte au port de Dunkerque et aux ports du Bénélux via l’Escaut et l’axe Deûle-Lys ;
  • D’autre part d’un réseau à petit gabarit qui maille son territoire finement.

Connecté au réseau fluvial nord européen, le réseau fluvial de la Région Hauts-de-France est porteur d’enjeux économiques forts, d’autant plus à la lumière du futur canal Seine-Nord Europe, maillon central de la liaison Seine-Escaut, qui viendra connecter les Hauts de France à l’Île-de-France, élargissant encore son hinterland fluvial.

Le transport fluvial dans les Hauts-de-France c’est :

  • 11,5 millions de tonnes de marchandises, soit l’équivalent de 600 000 camions en moins sur les routes ;
  • Un tonnage hors transit de 9 millions de tonnes ;
  • 1 248 millions de tonnes-kilomètres (+3 % en 2020) ;
  • Des trafics qui ont progressé de 27 % entre 2003 et 2019.

L’intérêt du mode fluvial pour l’économie régionale n’est aujourd’hui plus à démontrer.

Suite à la sollicitation de la Région Hauts de France, E2F a donc procédé au mois d’août et septembre 2021 à une consultation de ses adhérents, dont vous trouverez la synthèse ci-dessous.

Leurs attentes peuvent se regrouper en cinq catégories :

  • Rénover et moderniser (écluses, barrages, digues) ;
  • Sécuriser la navigation (dragages, faucardage, amarrages, accessibilité aux quais, entretien des berges…) ;
  • Favoriser le développement et la compétitivité du mode fluvial (enfoncement…) ;
  • Développer les interfaces du réseau (zone de stationnement, poste d’attente, zone d’hivernage, zones de transbordement, bassins de virement…) ;
  • Développer les services aux usagers (équipements à quai).

Ces attentes marquent une attente forte de la part des opérateurs sur une série de pistes d’améliorations connues de Voies Navigables de France, dont un certain nombre fait l’objet d’échanges réguliers et de plans d’actions. Le détail de ces pistes d’améliorations et des sites concernés figurent en détail dans un tableau joint à cette synthèse et envoyé à la Région des Hauts de France.

1/ RÉNOVER ET MODERNISER (ÉCLUSES, BARRAGES, DIGUES) :

Construire et fiabiliser le réseau pour répondre aux enjeux européens

Afin de répondre aux objectifs de développement des trafics fluviaux notamment dans le cadre du projet CSNE, il convient d’ores et déjà de s’interroger et d’identifier les actions à mener permettant un doublement des écluses sur l’ensemble de l’axe principal de navigation. A ce jour, les chômages des ouvrages, bien sûr nécessaires, bloquent régulièrement la navigation et favorisent le retour vers la route de certains trafics ou fragilisent leur maintien sur la voie d’eau.

Entretenir et réparer (ouvrages, berges…)

Anticiper au maximum les actions d’entretien à engager sur le réseau en privilégiant le préventif au curatif. Les clients de la voie d’eau ont besoin de sécuriser leur logistique globale et tout blocage intempestif du réseau a un impact immédiat tant au niveau opérationnel, qu’économique ou encore sur la confiance des clients.

Nécessité de rénover et moderniser pour permettre au mode fluvial d’être performant et rassurer le client sur la capacité à disposer du matériel et à répondre en temps réels aux besoins des chantiers où la réactivité est le maître mot.

Développer le recours à l’internet des objets (IOT) afin d’améliorer une image de modernité du réseau fluvial mais surtout d’apporter un niveau d’informations le plus efficient possible à destination à la fois des usagers de la voie d’eau et des clients de cette dernière (chargeurs, logisticiens, etc.).

2/ SÉCURISER LA NAVIGATION (AMARRAGES, ACCESSIBILITÉ AUX QUAIS, ENTRETIEN DES BERGES…) :

La sécurité est un thème souvent abordé par les opérateurs lors de la consultation d’E2F, que ce soit pour eux-mêmes ou pour leurs bateaux.

Le manque d’entretien de certaines berges réduit significativement le passage (et donc le stationnement) de certains opérateurs qui ne se sentent pas en sécurité pour s’amarrer et ou débarquer de leurs bateaux.

Il convient d’être vigilant aux écluses pour garantir la sécurité des navigants et l’intégrité des bateaux (bois de protection, lisses de guidage). Les ouvrages doivent permettre l’amarrage des bateaux en toute sécurité et la non-dégradation des câbles d’amarrage (arêtes vives, bollards mal positionnés ou sous-dimensionnées, espacement des ducs d’albe…).

Par ailleurs, l’embarquement et le débarquement au niveau des quais et des écluses doit pouvoir se faire pour les équipages en toute sécurité (échelles adaptées et entretenues, chemin de halage en bon état, éclairage…).

3/ FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT ET LA COMPÉTITIVITÉ DU MODE FLUVIAL (ENFONCEMENT, DRAGAGES, FAUCARDAGE…) :

Certains canaux sont envahis de nombreuses plantes invasives, malgré le passage de bateaux. De fait, il devient de plus en plus difficile pour les opérateurs de fret de garantir à la fois des délais de livraison fiables mais aussi une capacité d’emport appropriée, avec de lourdes conséquences à la clé pour la navigation, les entreprises et les territoires : blocage des ouvrages (portes d’écluses entre autres), baisse de la performance (vitesse réduite), surchauffe voire casse des moteurs, augmentation des émissions des bateaux, dégradation du niveau de rentabilité des transporteurs fluviaux.

Côté tourisme, la viabilité des programmes des croisiéristes, des péniches hôtels et des loueurs de bateaux habitables sans permis est remise en cause. Au-delà de l’insatisfaction des clients, relayée par un bouche-à-oreille négatif, les problèmes d’exploitation sont importants comme pour le fret et génèrent de nombreuses interventions coûteuses. Il est nécessaire d’accentuer la recherche et développer des expérimentations pour apporter des réponses efficientes au problème de la prolifération des végétaux aquatiques et des algues de manière préventive, tout en préservant les écosystèmes.

Il en va de même pour les nombreux sédiments dans certains canaux qui limitent la hauteur d’eau disponible et donc la quantité de marchandises que peuvent transporter les bateaux. Plus il y a de sédiments, moins il peut être chargé et moins il peut être rentable et compétitif (face à la route). L’excès de sédiments est donc un frein au développement du transport fluvial.

Certains sites ne disposent pas d’un mouillage approprié (profondeur disponible pour un bateau). Des dragages pour rétablir le mouillage permettant aux bateaux d’exercer en toute sécurité sont nécessaires en plusieurs lieux. Les dragages doivent impérativement être réalisés régulièrement, tant au niveau préventif que curatif.

Pour entériner la bonne tenue de ces dragages, il est proposé que ceux-ci soient réalisés sur le budget d’investissement et non de fonctionnement.

D’autres facteurs viennent freiner également la compétitivité du mode fluvial, comme :

  • L’envasement de certains bassins de virement (qui permettent aux unités fluviales de tourner et se mettre dans le bon sens de circulation une fois leurs opérations de chargement/déchargement réalisées)qui deviennent, de fait, inutilisables à leur pleine capacité et sont à l’origine d’avaries sur les organes de propulsion ou les coques des bateaux ; d’autres nécessiteraient un « simple » recalibrage. Il est essentiel de réaliser les travaux nécessaires pour permettre à toute unité pouvant circuler sur le réseau fluvial de virer ;
  • L’ouverture 24 heures sur 24 des écluses : cette ouverture doit être décorrélée du fonctionnement des quais ou des Ports. La navigation de nuit a pour objectif principal de naviguer en temps masqué la nuit pour optimiser les rotations, la performance logistique, le coût à la tonne…

Enfin, certains tronçons mériteraient une pleine concertation avec les opérateurs fluviaux avant d’entériner leur utilisation future, comme :

  • La construction du futur canal Seine-Nord Europe (CSNE) doit lever le goulet d’étranglement que représente actuellement le canal du Nord, en permettant la massification et l’accroissement des flux transitant par la voie d’eau. S’il est prévu que le canal latéral à l’Oise et le canal du Nord soient maintenus en navigation la première année suivant la mise en service du futur canal comme itinéraires de substitution durant la période de rodage des nouveaux ouvrages, et pour permettre le report des entreprises sur le grand gabarit, l’utilité des canaux existants n’est pas assurée au-delà. Le canal du Nord ne devrait pas être maintenu en navigation fret sur la totalité de son itinéraire. Pour les opérateurs fluviaux il est pourtant essentiel de maintenir un itinéraire de délestage. Des concertations avec les opérateurs fluviaux doivent être engagées sur le sujet afin de les associer étroitement sur les futures vocations du canal du Nord.
  • Le canal de la Sambre à l’Oise a réouvert à la navigation touristique le 1er juillet 2021, après 15 années d’arrêt. Le mouillage à 1,60 m ne permet pas le trafic des bateaux de fret alors qu’ils pouvaient y naviguer en 2006. Cette liaison est pourtant essentielle car elle permet de faire passer des bateaux en transit de la Belgique vers la France et permettrait de répondre à des besoins d’entreprises industrielles souhaitant recourir à la voie d’eau pour certains de leurs besoins en transport. Les opérateurs déplorent cette situation d’autant plus que les bateaux hôtels ne peuvent pas non plus l’emprunter car leur enfoncement est similaire à celui des bateaux de fret (1,80 / 1,90m).

4/ DÉVELOPPER LES INTERFACES DU RÉSEAU (ZONE DE STATIONNEMENT, POSTE D’ATTENTE, ZONE D’HIVERNAGE, ZONES DE TRANSBORDEMENT, BASSINS DE VIREMENT…) :

À la vue des réponses apportées par les opérateurs fluviaux dans le cadre de la consultation menée par E2F, le développement des interfaces terrestres au réseau est primordial. Cela doit passer par l’extension et la création de zones de stationnement et de garage d’écluse (poste d’attente). Tous les répondants nous ont indiqué que le réseau fluvial en manquait cruellement et qu’aux vues des trafics enregistrés leur développement devenait indispensable. Ces espaces doivent être dimensionnés en fonction des projections de trafic dans le cadre du projet Seine-Nord Europe ainsi que des trafics actuels sur la Région Hauts-de-France, mais également en fonction des dimensions des unités fluviales qui continueront à augmenter (augmentation de l’emport).

Par ailleurs, outre leurs créations ou extensions, ces « points d’amarrage » doivent permettre aux opérateurs fluviaux de stopper l’exercice de leur activité en toute sécurité (éclairage, bon état des quais-berges, accessibilité des bollards, échelles en bon état, défenses d’accostage…).

Pour faciliter l’exercice des opérateurs fluviaux, il faudrait, au minimum, créer des zones de stationnement à proximité immédiates des zones de chargement et de déchargement (ports maritimes, ports intérieurs, quais privés…).

D’autre part, les « points d’amarrage » doivent comporter à proximité, des installations donnant la possibilité aux opérateurs de débarquer ou d’embarquer des personnes ou des véhicules, de pouvoir être secouru, d’avoir accès à des bornes à eau et électricité (pour couper son groupe électrogène), de déposer ses déchets de navigation et ménagers (voir rubrique « développer les services aux usagers).

5/ DÉVELOPPER LES SERVICES AUX USAGERS (ÉQUIPEMENTS A QUAI) :

Dernier point fondamental pour les opérateurs fluviaux sur le bassin : le développement des services aux usagers. Il est noté la nécessaire poursuite de l’installation des bornes délivrant électricité et eau potable (à gros débit) : le fonctionnement / mode d’abonnement de ces bornes doit être aligné avec celles qui seront installées sur le canal Seine-Nord Europe et celles déjà installées sur l’axe Seine.

Une borne électrique c’est l’assurance d’une réduction des émissions de GES (jusqu’à 68 tonnes d’eqCO2 économisées par an et par borne ; c’est une réduction de la consommation de carburant et des coûts d’exploitation du bateau (-15% de carburant hors TICPE) ; c’est une amélioration du confort à bord pour les navigants et une réduction des nuisances pour les riverains (bruit, odeurs).

Il est important d’installer des bornes sur les quais privés, publics, dans les ports, les zones de stationnement. L’électrification des quais maritimes est à ce titre une avancée majeure : cela devrait être la même chose au niveau du fluvial.

La grande majorité des lieux d’amarrage (dans et hors des ports/lieux d’escales) ne disposent pas non plus des installations permettant aux opérateurs de vider leurs poubelles, de trier leurs déchets et leurs huiles usées, ni d’embarcadère dédié à l’embarquement ou au débarquement des voitures des opérateurs. La capacité à gérer les déchets (ordures ménagères, déchets de salle des machines, eaux grises et noires des bateaux…) est fondamentale : il faut être en mesure d’apporter ce service aux usagers de la voie d’eau.

Par ailleurs, de plus en plus d’écluses et de ports voient leurs accès sécurisés pour limiter les allées et venues. Ce qui peut apparaître comme une bonne initiative qui vient garantir la sécurité des bateaux amarrés, devient très contraignante lorsque les accès (entrées, sorties) ne sont pas garantis aux opérateurs fluviaux qui sur certains sites n’ont pas les codes/clés permettant de sortir avec leurs voitures personnelles. Dans certains lieux, les opérateurs fluviaux n’ont plus accès aux quais lorsqu’ils sont en attente de manutention (sauf à rester confinés à bord) mais ils n’ont pas d’alternatives de stationnements. Cet état de fait pose des questions de sécurité aux opérateurs qui doivent pouvoir accéder à l’espace public à toute heure (internat des enfants, problème médical, assurer les relèves d’équipage…).


Alors que le futur canal Seine-Nord Europe va créer une véritable dynamique pour l’ensemble des acteurs (chargeurs, transporteurs…), il apparait capital d’investir et de développer l’infrastructure fluviale de la Région Hauts-de-France pour répondre aux contraintes techniques et environnementales des opérateurs fluviaux.