La révision des RTE.T : E2F se prononce

Dans le cadre du plan d’action pour la mise en œuvre de son Pacte vert, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a engagé le réexamen du règlement relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Élément central de la politique européenne des transports, le réseau transeuropéen de transport (RTE­-T) est le programme de développement des infrastructures de transport de l’Union européenne dans le cadre duquel  de nombreux projets conditionnent l’avenir du transport fluvial français et son intégration à l’Europe des transports. Dans ce cadre, E2F a fait parvenir sa position et des propositions pour l’avenir à M. David Valence (Président du Conseil d’Orientation des Infrastructures), M. Clément Beaune (Ministre délégué chargé des transports) et M. Henrik Hololei (Directeur général de la DG Move à la Commission européenne).

En amont de cette révision des lignes directrices, le Parlement européen a adopté le 20 janvier 2021 une résolution pour suggérer des modifications. Les eurodéputés ont notamment insisté sur le besoin de poursuivre les investissements dans les infrastructures – notamment fluviales – mais également de renforcer les modes de gouvernance.

C’est dans ce cadre que, le Gouvernement français est appelé aujourd’hui à se prononcer.

La poursuite du maillage du réseau navigable de la France et son interconnexion avec celui de l’Europe ne peuvent pas se limiter à la liaison Seine-Escaut, même si elle est prépondérante et préfiguratrice du rôle que doit jouer la France dans l’Europe Fluviale. Le projet de liaison Saône-Moselle / Saône-Rhin demeure pour sa part et à nos yeux un projet indispensable, même si de plus long terme.

Le réseau fluvial français

La situation du réseau fluvial de la France est caractérisée principalement par :

  • sa très grande longueur par comparaison à celle des autres pays européens ;
  • son hétérogénéité en ce qui concerne ses gabarits techniques (classes de navigation) ;
  • son absence de connexions au grand gabarit (classe 5 A ou B), désormais la norme du réseau fluvial européen, entre les différents bassins de navigation de l’hexagone, Nord, Seine, Rhin­ Moselle, Rhône-Saône) ainsi qu’avec les grands fleuves riverains que sont l’Escaut, la Moselle et le Rhin.

Cette situation est à l’origine et explique pour une grande part la faiblesse actuelle en France de la part modale du transport fluvial et les handicaps pour réussir pleinement une politique de report modal de la route vers le fer et la voie d’eau quand bien même la mise en œuvre d’une politique publique allant en ce sens.

Les aménagements fluviaux à grand gabarit

Le constat de cette situation a conduit de manière logique et heureuse tant par les gouvernements successifs du pays que par les instances européennes compétentes, à définir, financer, décider et enfin débuter en 2022 la réalisation d’aménagements fluviaux au grand gabarit intégrés sur le territoire français aux RTE.T et aux corridors européens lesquels participant à la bonne échelle d’une logistique de plus en plus internationalisée et d’une desserte de territoires composites alternant relative désertification et urbanisation dense.

C’est ainsi que sur le corridor Mer du Nord/ Méditerranée qui concerne la France au principal :

  • sont en cours de réalisation : le Canal Seine-Nord Europe, maillon de la liaison européenne Seine Escaut, qui sera mis en service en 2030 ainsi que la mise au grand gabarit de la Seine amont entre Bray et Nogent S/Seine, de l’Oise aval (programme Mageo) et la connexion de Port 2000 au Havre avec la Seine (via la « chatière »), opérations finalisées en 2028.
  • est en attente d’une décision politique concrète de la part de la France, la réalisation de la liaison Saône-Moselle / Saône-Rhin dont le principe avait été prévu dans la loi du 3 aout 2009 (Grenelle de l’environnement) puis classé à l’horizon au-delà de 2050 sans autre précision, ni marques d’un volontarisme gouvernemental avéré. Le Conseil d’Orientation des Infrastructures doit rendre un nouvel avis en nombre prochain.

L’Europe est de ce fait fondée à s’interroger sur la pertinence à conserver dans le RTET l’existence et la programmation d’un projet dont les intérêts européens ne font aucun doute si dans le même temps ce point de vue n’est pas totalement et expressément partagé par le pays physiquement et exclusivement concerné par sa réalisation.

A l’instar des conditions qui ont entouré et prévalu pour la réalisation du canal Seine-Nord, le projet de liaison Saône-Moselle/ Saône-Rhin nécessite la conjonction d’analyses, de volontés et de décisions communes entre la France et l’Union européenne pour concrétiser dans les faits sa programmation, son financement et in fine sa réalisation.

Aujourd’hui le réalisme oblige à affirmer que le destin de ce projet et au-delà pour le pays celui d’un réseau fluvial homogène et moderne, mettant fin à une France fluviale coupée en deux est entre les mains et la décision du gouvernement français. Par ailleurs est également en jeu le développement significatif du transport fluvial sur des relations et des flux les plus importants observés en Europe via ses grands ports maritimes et pour la desserte de régions économiques aux forts potentiels, industriel et agricole.

Position d’Entreprises fluviales de France (E2F)

« Ni injurier, ni condamner l’avenir fluvial » de tous les territoires des façades Nord Est, Est et Sud Est du pays alors que desservis par les trois grands axes navigables (dont 2 en cul-de-sac) que sont le Rhône, le Rhin et la Moselle : tels sont la position et l’objectif d’E2F assortis d’une programmation dans le temps et l’espace pour le projet Saône-Moselle / Saône-Rhin, lui-même articulé et inséré dans une ambition fluviale plus large et renouvelée à l’échelle du pays.

En prenant en compte à la fois :

  • l’état actuel du réseau fluvial français et ses besoins d’entretien et de modernisation, l’importance des trafics actuels et potentiels transitant sur ces voies ou portions des voies navigables en priorisant des itinéraires commerciaux globaux et cohérents ;
  • l’impératif à assurer le maintien en bonne navigation des liaisons inter-bassins même de petit gabarit en attendant leur amélioration et celui des canaux servant au rabattement de trafics sur l’axe à grand gabarit ;
  • les grands aménagements précités en cours de réalisation et d’achèvement d’ici 2030 (Canal SNE, Bray-Nogent, Mageo, chatière au GPMH) ;
  • enfin les contraintes financières qui pèsent et vont peser sans doute au moins sur le court terme sur le budget national et sur celui des collectivités territoriales.

Dans ce contexte, les propositions et avis d’E2F sont pour l’essentiel les suivants.

L’eau : une ressource stratégique et polyvalente qui appelle une politique ambitieuse, globale et renouvelée, y compris dans les transports.

Pour des raisons et circonstances nouvelles, le siècle actuel redécouvre le rôle et la valeur essentielle que dans l’histoire l’eau a toujours joué. La polyvalence de ses usages : alimentation, irrigation, énergie, refroidissement des centrales, transport, tourisme, environnement etc…fait de l’eau une ressource stratégique dont la société et l’économie ne peuvent durablement se passer. Le fait, à la différence d’autres ressources, que l’eau puisse être stockée constitue un avantage indéniable, voire un motif d’intérêt général qui justifie sa valorisation et son intégration dans les choix, la nature et la conception des infrastructures de transport.

A cet égard et s’agissant des voies navigables, les périodes récentes mettent objectivement en évidence la vulnérabilité, par excès ou par défaut de la ressource, des fleuves et rivières à courant libre. Ainsi le Rhin ou la Loire à titre d’exemples dont tous les usages sont périodiquement et successivement affectés.

A l’inverse les mains de l’homme (celles des ingénieurs, des constructeurs des aménageurs et des garants d’un environnement durable) ont à leur crédit des réussites, perfectibles et indéniables à la fois, dont en France, la Seine et le Rhône constituent des exemples grâce à des équipements régulateurs et de stockage (barrages, réservoirs, grands lacs etc…). Il en va de même, voire plus encore pour les voies navigables totalement artificielles que sont les canaux, petits et grands dont certains constituent aujourd’hui des éléments significatifs de notre patrimoine environnemental en même temps qu’ils assurent bien d’autres fonctions que celle du seul transport. Ainsi le canal Albert en Belgique se révèle de ce point de vue comme un outil majeur de développement économique industriel et logistique, pour tous les territoires qu’il dessert.

E2F témoigne donc de sa totale satisfaction devant la conjonction des volontés et décisions régionales, nationales et européennes ayant conduit à la réalisation en cours de la liaison Seine Escaut et de son maillon français qu’est le canal Seine-Nord. Grâce à elle, grâce aux techniques et équipements divers apportés pour garantir la « ressource eau » : la fonction purement transport, mais pas seulement, sera ainsi assurée sans aléa.

Cette réalisation Nord-Sud conjuguée avec l’axe séquanien Est-Ouest et tous les canaux qui s’y greffent constituera un ensemble hydraulique performant dont la polyvalence d’usages doit être comprise et analysée comme une richesse d’avenir. Elle mérite donc d’être reprise et élargie.

La liaison Saône-Moselle / Saône-Rhin un projet utile et porteur à sanctuariser aujourd’hui et à réaliser à compter de 2050

Cet intitulé expose et résume la position d’E2F à l’égard de ce projet, position partagée par l’Europe et par les régions Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté.

Aux raisons et arguments évoqués précédemment s’ajoutent d’autres particuliers et spécifiques à ce projet dont la nature et l’importance se conjuguent avec, mais dépassent largement les seuls intérêts régionaux, voire nationaux.

Ainsi et de manière synthétique, E2F souligne :

  • pour le passé, que le renoncement à la liaison Rhin-Rhône n’a en aucune manière été pallié par un relai et un essor ferroviaire et n’a contribué qu’à la seule augmentation du transport routier sur les relations concernées ;
  • pour l’avenir : la nécessité d’une offre effectivement trimodale puissante pour satisfaire les besoins de transport et de logistique entre les économies du couloir rhodanien, celles du sillon lorrain et de l’artère rhénane ;
  • l’intérêt national et européen à s’ouvrir sur l’arc méditerranéen et ses marchés via le grand Port Maritime de Marseille en prolongeant l’axe rhodanien vers le nord et en le connectant à la fois à la Moselle et au Rhin dans son principe et dans un ordre à définir le moment venu ;
  • l’impératif à fluidifier les flux de marchandises les plus importants observés en France comme en Europe sauf à risquer la saturation totale des infrastructures routières et ferroviaires existantes dont l’usage est également indispensable à la mobilité des personnes.
Conclusions

L’ensemble de ces considérations tout comme celles évoquées plus haut avec une politique de valorisation de la ressource « eau » et de ses usages conduit E2F à mettre en avant l’intérêt stratégique du maintien de la liaison Saône-Moselle / Saône-Rhône au sein du RTE.T tout en proposant le calendrier suivant :

  • 2030-2040 : Études techniques
  • 2040-2050 : Choix des tracés, montage du financement et procédures
  • A compter de 2050 : Réalisation

A l’évidence un impératif d’intérêt général s’impose désormais à tous les États consistant à la définition et la mise en œuvre, nécessaire et urgente, de politiques et de programmes d’aménagements visant à économiser les ressources eau et énergétiques.

E2F entend souligner à cet égard que la poursuite et l’achèvement de notre réseau de voies navigables conçu et intégré à des aménagements multifonctions, protecteurs, régulateurs et stockeurs de la ressource eau d’une part et, d’autre part, l’évolution et la transition énergétique en cours de la flotte fluviale, française et européenne vers des motorisations propres et totalement décarbonées apparaissent comme autant de données positives pour l’avenir. Elles constituent un moyen avéré pour satisfaire l’impératif d’intérêt général précité et, en même temps, celui de mettre sur pieds un système et une offre de transports efficiente économiquement et socialement.