EBU Event 2022 : le rôle du fluvial dans le cadre de la politique de mobilité de l’UE

L’EBU (European Barge Union) a réuni le 17 novembre 2022 des conférenciers et panélistes exceptionnels d’institutions européennes et internationales ainsi que des experts de l’industrie pour exprimer leurs positions sur les défis et les opportunités de développement du secteur du transport par voies navigables intérieures dans l’Union européenne, avec un accent particulier sur le transfert modal et les questions urgentes (besoin d’investissements dans les infrastructures et innovation de la flotte vers la transition énergétique). Didier Leandri, Président d’E2F et vice-président de l’EBU était présent pour évoquer la transition énergétique de la flotte fluviale.

Les conférenciers principaux Václav Bernard (vice-ministre des Transports, ministère tchèque des Transports), Henrik Hololei (directeur général Commission européenne DG MOVE), Dominique Riquet (commission MEP TRAN et co-rapporteur « Révision RTE-T »), et Philippe Grulois (président de l’EBU) ont souligné l’importance du transport par voie navigable dans la réalisation des objectifs fixés par le Green Deal et sa stratégie de mobilité durable et intelligente.

M. Bernard, dans son discours d’ouverture, a souligné l’importance croissante du transport par voies navigables intérieures au fil des ans – non seulement en raison de son économie d’échelle, mais aussi en raison de son rôle important dans la décarbonisation des transports et récemment aussi dans le transport de céréales et de matières premières depuis l’Ukraine. dans le cadre des « Voies Solidaires ».

En outre, il a évoqué la révision de la directive sur la taxation de l’énergie, qui fait partie du paquet « Fit for 55 ». Ce cadre, ainsi que d’autres propositions du paquet, contribueront à la réalisation de l’objectif clé de l’UE consistant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Le projet qui fait l’objet de discussions intensives sous la présidence tchèque prévoit que les carburants pour la navigation intérieure ne seront pas taxés au cours des cinq premières années. Après son entrée en vigueur, et par la suite, ils seront taxés à un faible taux.

M. Hololei a souligné, lui aussi, le rôle des voies navigables au cœur des « Solidarity Lanes ». La route du Danube représente plus de 50 % des exportations céréalières ukrainiennes et une part importante des importations ukrainiennes, notamment énergétiques. Ils seront transformés en corridors de transport et de commerce permanents entre l’Ukraine et l’UE et constitueront un moyen de transport pour aider l’Ukraine à se rapprocher du marché unique de l’UE. À terme, ils deviendront l’épine dorsale d’un nouveau réseau de liens entre l’Ukraine et le reste de l’Europe, en grande partie grâce à la « formidable réponse du secteur de la navigation intérieure« . En tant que l’un des modes de transport les plus propres, le transport par voies navigables intérieures est au cœur de la stratégie de mobilité durable et intelligente de la Commission. En fait, elle a fixé une étape ambitieuse pour le secteur : le transport par voies navigables intérieures et le transport maritime à courte distance devraient augmenter de 25 % d’ici 2030 et de 50 % jusqu’en 2050. Pour atteindre cet objectif, la Commission a élaboré un certain nombre de propositions législatives, qui sont en cours d’adoption par le Conseil et le Parlement.

M. Riquet a appelé à une plus grande attention politique pour le secteur de la navigation intérieure. En tant que co-rapporteur sur le dossier RTE-T au sein de la commission, il s’est engagé à soutenir le secteur en fixant les bonnes conditions-cadres. Dans leur rapport, les co-rapporteurs soulignent certaines lacunes critiques qui nécessitent une attention particulière en termes d’ambition accrue en matière de normes et d’exigences, de maintenance et de gouvernance.

Le Président de l’EBU, Philippe Grulois a souligné que la voie d’eau a un vaste potentiel de contribution aux politiques de l’UE en absorbant des volumes plus importants sur le marché européen. Cependant, « un certain nombre de conditions préalables doivent être remplies de notre point de vue pour matérialiser le potentiel du secteur au profit de la société et de l’économie« , a souligné le Dr Grulois. Les voies navigables ont besoin d’un réseau d’infrastructures fiable, sûr, rentable et résistant au changement climatique. Pour atteindre cet objectif, plusieurs mesures doivent être prises. Il est clair qu’il faut des objectifs plus ambitieux pour les normes d’infrastructure et des exigences pour permettre un transfert modal supplémentaire, y compris des investissements dans les infrastructures fluviales par les États membres et des financements supplémentaires par Cadre européen commun.

Dans la perspective de la révision du règlement RTE-T, l’EBU considère les paramètres proposés comme très peu ambitieux et donc comme un minimum absolu. L’ EBU a ainsi demandé à la Commission européenne de soutenir et faciliter l’intégration de la navigation intérieure dans les schémas de transport multimodal :

  • d’expirer le règlement d’exemption par catégorie des consortiums (CBER). Cette exemption a conduit à une perturbation de manutention des conteneurs dans la liaison avec l’arrière-pays imposant des surcoûts élevés au secteur et conduisant à un transfert modal inversé ;
  • réviser la directive sur le transport combiné et créer des conditions de concurrence équitables en termes de mesures d’accompagnement et d’avantages, qui sont actuellement accordés au tronçon route/rail surtout.

Transfert modal et besoin urgent d’investissement dans les infrastructures

Theresia Hacksteiner, Secrétaire générale de l’EBU, a présidé deux ateliers, un premier sur le transfert modal et le besoin urgent d’investissement dans les infrastructures et un second sur la situation d’étiage sur les rivières en Europe.

Elle a exprimé la nécessité d’une infrastructure fiable, sûre, rentable et résistante au changement climatique. Avec plus de 40 000 km de voies navigables et 250 ports intérieurs, la navigation intérieure transporte actuellement quelque 550 millions de tonnes de marchandises par an et revêt une importance croissante dans le domaine des croisières et du transport de passagers. Les sociétés et les grandes industries européennes dépendent d’un approvisionnement continu de leurs biens via les voies navigables, tandis que le tourisme fluvial est un pilier majeur du tourisme européen.


La situation d’étiage, quant à elle, est de plus en plus fréquentes sur le Rhin depuis Bâle à la mer du Nord. Cette situation vient confirmer l’importance d’une adaptation plus résiliente au changement climatique et unes meilleure gestion de l’eau sur le bassin du Rhin. L’impact financier global de l’étiage du Rhin en 2018 pour les armateurs allemand et néerlandais, était de près de 2,7 milliards d’euros.

Sur le Danube, la navigation a été fortement entravée et même bloquée en juillet, dans la liaison bulgare/roumaine, où pratiquement aucun bateau ne pouvait passer pendant quelques semaines. Cette navigation locale à l’arrêt se répercutait sur l’ensemble du corridor de transport multimodal danubien. Il avait une grande portée et de lourdes conséquences pour l’industrie de l’UE qui dépend structurellement du transport par voies navigables et dissuade d’autres industries intéressées à choisir le transport fluvial.

La situation sur l’Elbe est comparable. Depuis de nombreuses années, la baisse du niveau d’eau met en danger la navigation sur cet important fleuve en raison d’un manque d’entretien et de la construction d’écluses qui permettrait d’effectuer les transports nécessaires sur la voie d’eau. Ces situations ne sont pas dues à un jeu de circonstances fâcheux ou à des conditions de décharge, mais l’omission des États membres concernés d’entreprendre les mesures d’entretien pour assurer la sécurité de la navigation.

Les membres de l’EBU ont convenu dans leur conclusion qu’une attention politique beaucoup plus grande et opportune sur l’entretien de l’infrastructure est nécessaire pour concrétiser l’objectif de transfert modal de l’UE. L’investissement dans les voies navigables est de l’argent bien dépensé et a un rendement très élevé d’un point de vue économique et écologique.

Innovation de la flotte vers la transition énergétique

La conversion de la flotte de navigation intérieure au zéro émission est une tâche difficile car les bateaux ont de très longs cycles de vie. Le secteur appelle à une approche cohérente des mesures pour accélérer le développement et le déploiement de solutions de verdissement dans la navigation intérieure et ainsi créer une situation gagnant-gagnant tant pour la société que pour l’industrie.

Daniela Rosca, chef d’unité Ports et navigation intérieure à la Commission européenne DG MOVE, a rappelé que des actions concrètes sont entreprises dans le cadre du programme NAIADES III, censées accompagner le secteur dans cette voie de la transition et la réalisation du report modal vers les voies navigables.

Lucia Luijten, secrétaire générale de la CCNR, a brièvement présenté dans sa présentation les résultats de l’étude sur le financement de la transition énergétique dans la navigation intérieure et la feuille de route pour réduire les émissions en navigation intérieure. Elle a souligné qu’il n’y a « pas de taille qui convient à tous » et a souligné deux voies de transition (conservatrices/innovantes) pour la flotte (nouvelle et existante). Compte tenu de la complexité du sujet, un certain nombre de mesures seront nécessaires pour faire face à ces défis.

L’étude a calculé les coûts de la transition énergétique – selon une approche conservatrice ou innovante. Entre 2,6 et 7,8 milliards d’euros sont évoqués. Pour l’instant, il n’y a pas de « business case » positifs pour justifier les décisions d’investissement des armateurs/opérateurs dans des technologies contribuant au zéro émission. Actuellement, il n’existe pas de financement dédié au déploiement du verdissement du secteur au niveau de l’UE, à l’exception des programmes de financement nationaux dans certains États membres.

Didier Leandri, Président d’Entreprises fluviales de France et Vice-Président EBU, a clairement indiqué que la navigation intérieure n’est pas un problème en ce qui concerne le changement climatique, mais une partie de la solution. Quatre fois plus performant que le transport routier en termes de consommation d’énergie, le transport par voies navigables est la meilleure solution de transport alternative. Il a insisté sur l’idée que la transition vers la neutralité carbone est clairement un objectif du secteur de la navigation intérieure qui ne peut être atteint que sur le moyen ou long terme.

Cependant, le secteur doit aujourd’hui faire des progrès dans la réduction de ses émissions. Il faut aussi s’aligner sur les attentes de nos clients et fournir des bases solides à notre ambition de croissance. M. Leandri a souligné l’investissement très élevé nécessaire à cette transition, malgré la volonté de nos membres de faire ces changements. Compte tenu de la très faible élasticité-prix du marché, la neutralité économique est requise et par conséquent, une contribution du secteur dans ce domaine ne peut pas être considérée comme une solution. Pour rester en ligne avec cet objectif, l’idée d’avoir un guichet unique pour l’ingénierie financière est l’une des solutions, avec un mélange de Fonds de dotation public et de financement bancaire. Il a surtout insisté sur la nécessité pour la Profession de se doter d’une stratégie partagée et s’y tenir.

Le Secrétaire général a clôturé la session en concluant que le transport par voie navigable se caractérise par son efficacité, sa sécurité et sa durabilité par rapport aux autres modes de transport. Pour réaliser la transition vers un financement à zéro émission, un soutien réglementaire est nécessaire car les voies navigables sont un catalyseur pour absorber des volumes beaucoup plus élevés et réaliser ainsi les ambitions du Green Deal européen.