Canal du Rhône à Sète : restitution des travaux de concertation

Suite à la remise d’un rapport du CGEDD (Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable) sur le devenir du canal du Rhône à Sète, Étienne Guyot, préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute‐Garonne, a souhaité lancer une concertation territoriale en y associant l’ensemble des acteurs concernés, afin de réinterroger les orientations stratégiques de ce même canal. Il a chargé le préfet François Lalanne d’animer cette concertation. L’objectif de cette concertation est d’éclairer le Gouvernement et le préfet d’Auvergne‐Rhône‐Alpes, coordonnateur du plan Rhône‐Saône sur les décisions d’investissement à prendre dans le cadre du Plan Rhône‐ Saône et du prochain contrat de plan Occitanie État‐Région 2021‐2027.

La concertation s’est tenue sous forme d’ateliers sur les thématiques environnement, tourisme et fret. En parallèle, les citoyens étaient invités à contribuer à cette réflexion en faisant remonter leurs avis, attentes et propositions en matière de services et d’usages. La restitution des travaux de la concertation territoriale a été rendue publique le 12 février dernier, vous en trouverez ci-dessous les principales conclusions. Vous pouvez retrouver le rapport dans son intégralité à la fin de cet article.

Rappel des 5 scenarii mis en débat

Scénario n°1 : un canal pour des bateaux de 2 500 t, chargés à 100 % ;
Scénario n°2 : un canal pour les bateaux conformes à la DUP de 2010 ;
Scénario n°3 : un canal pour les bateaux actuels chargés à 1 100 t ;
Scénario n°4 : un canal pour les colis lourds, le fret de niche et le petit tourisme fluvial ;
Scénario n°5 : un canal dédié à la pêche, aux loisirs locaux et aux promenades.

Dans l’ensemble, la concertation a mis en exergue un intérêt partagé pour le canal de Rhône à Sète, comme un élément de patrimoine fédérant les communes et les territoires entre eux ; comme un enjeu territorial majeur pour le devenir environnemental, économique et culturel régional. Au‐delà de l’enjeu majeur de la desserte du port de Sète via une voie fluviale à l’axe Rhône, le canal met en lumière des potentiels peu exploités jusqu’à présent comme sa valeur paysagère, identitaire, patrimoniale et environnementale et touristique qui semble faire consensus au sein des participants. C’est un levier territorial important et perçu comme tel par la grande majorité des acteurs. En cela, ils s’accordent tous (ou presque) sur le fait qu’il faut le réhabiliter, l’entretenir, le maintenir en l’état de voie navigable.

Le souhait partagé d’une stratégie territoriale et d’une gouvernance dédiées au canal

Les élus, comme les acteurs concernés par le canal, sont plusieurs à souhaiter une gouvernance partagée afin d’en faire « un fil de développement territorial durable ». Ainsi, ils demandent une stratégie territoriale cohérente et collective qui permettrait de réunir l’ensemble des acteurs autour de la table, de façon régulière et constructive. Les ateliers ont également révélé le souhait de se réunir en petits groupes de travail thématiques (autour du fret, autour du tourisme, autour de l’eau…).

Plusieurs participants ont souligné l’importance d’avoir un travail commun de la Région, de l’État et des collectivités qui portent la compétence tourisme (les Départements, qui ont chacun leur agence ou leur comité de tourisme, les Intercommunalités, les Communes) qui pourraient être mobilisées pour constituer un collectif au sein du Gard et de l’Hérault et à l’échelle du canal.

Ainsi, les participants témoignent d’une volonté de faire cohabiter les usages : le transport, le tourisme mais également la présence des étangs et des espaces protégés à préserver.

Maintenir le canal, c’est d’abord le réhabiliter…

Les acteurs attendent des évolutions importantes pour le canal et en premier lieu la réhabilitation des berges, avec une priorité donnée à la berge nord, ainsi qu’à l’entretien des 35 passes hydrauliques qui sillonnent le canal.

Au‐delà de la question du réemploi des sédiments, le dragage a plus que doublé entre les années 80 et aujourd’hui. Ainsi dans la future programmation du canal (qui pourrait être un contrat de canal), la question du financement des dragages devra être intégrée.

Les travaux à prévoir seront en priorité sur la berge nord à refaire, dans la partie héraultaise. Cette réfection conditionne une reprise en main par VNF, gestionnaire de l’ouvrage, des volumes des sédiments « qui ne peuvent augmenter indéfiniment » rappelle Monsieur le Préfet François Lalanne.

… et le mettre en valeur en terme environnemental, paysager et touristique

Outre sa fonction navigable, le canal révèle des potentiels paysagers, touristiques et environnementaux qui en font sa valeur. Il offre la possibilité de développer divers aspects touristiques : l’œnotourisme, le cyclotourisme, la découverte de ses richesses patrimoniales et paysagères… Selon les participants, cette mise en valeur pourrait passer par l’enlèvement des casiers de stockage de sédiments qui défigurent le paysage des berges, un meilleur traitement des pistes cyclables qui longent le canal et qui pourraient se prolonger sur la rive droite ; mais également par une plus grande ouverture du canal à la plaisance. À terme le chiffre d’affaire du tourisme pourrait être du même ordre que celui du fret.

Cette mise en valeur doit cependant respecter la fragilité des milieux traversés, voire contribuer à leur réhabilitation et leur maintien, dans le contexte notamment du changement climatique et de l’évolution du trait de côte dans une trentaine d’années.

Une volonté de maintenir et de développer le fret et le report vers le transport fluvial…

Bien que plusieurs participants plébiscitent le chargement des bateaux à 2 500 T, il semble néanmoins que le chargement à 1 800 T soit « l’option la plus raisonnable, responsable et efficace » selon certains. Cette option est cohérente avec le projet stratégique du Port de Sète‐Frontignan et l’ambition de porter d’ici quelques années le trafic à 500 000 T par an. Elle permettrait un report du trafic routier (moins de camions) en complément du report vers le ferroviaire.

Les bateliers déclarent que 1 400 T est déjà un bon chiffre, et qu’ils peuvent travailler sur de nombreuses filières avec ces gabarits, ce qui n’est actuellement pas possible.

Concernant la comparaison entre les 1 400 T et 1 800 T si le prix à la tonne entre les deux reste à peu près le même, le problème reste le chargement des bateaux. Il est rappelé que d’un côté le marché touche 90 % de la flotte, de l’autre 60 %, en restant à 9,5 m de largeur.

La rentabilité économique du canal à 1 800 T est questionnée avec des automoteurs de 110 m par 11,40 m qui ne chargent qu’à 70 %. Néanmoins des automoteurs de moindre largeur (9,50 m) chargeant 1 800 T existent sur le bassin Rhône Saône et pourraient venir sur le canal du Rhône à Sète.

Pour éviter que le dragage et le passage des navires ne fragilisent les berges comme c’est le cas aujourd’hui, et pour permettre d’assurer une évolution progressive du gabarit par un dragage adapté, une fondation des berges permettant un mouillage garanti à 3 m sera nécessaire.

… et profiter de la réhabilitation pour valoriser et innover

Le dragage nécessaire du canal et la réfaction des berges est l’occasion d’innover dans le traitement des sédiments de dragages. Il ressort de la concertation le souhait de ne plus traiter ces derniers comme des déchets, mais de les considérer dans le cadre d’une filière à part entière sur l’ensemble du territoire. Les sédiments représentent des volumes considérables sur toute la France, qui pourraient permettre d’ajouter encore du trafic au canal du Rhône à Sète.

Le port de Sète‐Frontignan précise qu’il a pour projet, en réponse à l’augmentation du trafic et de l’intermodalité, d’augmenter les surfaces disponibles par la création de nouveaux terre‐pleins, à l’instar de ce qui a été initié derrière la digue ZIFMAR avec un 1er casier. Une piste d’évacuation et de valorisation de ces sédiments de dragage et des matériaux issus des travaux pourrait donc être envisagée. Tous ces matériaux pourraient être réutilisés en remblai dans le cadre justement de ces aménagements, s’ils sont reclassés en « matériaux » et non plus en « déchets », afin de pouvoir les réemployer.

L’objectif serait de pouvoir garantir au futur terre‐plein du port, qui a besoin d’environ 1 million de m3 de remblais, l’arrivée de 350 000 à 500 000 m3 des sédiments du canal.

La réhabilitation du canal pourrait être l’occasion également d’innover dans le secteur du tourisme en imaginant une diversification de l’offre touristique plus en lien avec les tendances d’écotourisme ou de tourisme fluvestre.

En trouvant des leviers financiers incitatifs

Ainsi, si les acteurs s’entendent sur le tonnage de 1 400 à 1 800 T tout en ayant des bateaux adaptés au gabarit du canal (9,5 m et 3 m de mouillage garanti), il n’en reste pas moins qu’ils insistent pour que des compensations, des mesures d’accompagnement et des leviers soient trouvés afin d’aider les transporteurs et le fret fluvial. L’idée de péages et taxes à minimiser est avancée. Plus largement les dispositifs d’aides, qui seraient orientés sur l’externalité négative d’un chargeur par l’utilisation d’un mode de transport, pourraient être une piste à creuser. Une autre idée suggérée est celle du recours au dédouanement. Les outils économiques pourraient amener des opérateurs à montrer plus intérêt pour le canal du Rhône à Sète. De même, favoriser le report modal par l’incitation fiscale : soit la taxation du routier, soit la gratification de la baisse des émissions de gaz à effets de serre, dans le processus industriel global du chargeur, est une piste intéressante à développer. Cela permettrait de favoriser le report modal train ou fluvial, sans distinction (comme c’est le cas de l’actuelle aide à la pince), mais en l’adaptant au vrac ou d’autres typologies de transport.

Une voie aux usages partagés mais à apaiser

Le canal est vu comme une voie navigable complémentaire au fret ferroviaire, tout comme une voie qui peut être partagée avec l’activité touristique. « Un canal qui n’est plus dédié au fret est un canal mort » exprime un participant. Ainsi, les acteurs du tourisme ont conscience que le fret garantira des berges entretenues, une profondeur d’eau et une aisance de navigation. Néanmoins, ils révèlent une cohabitation parfois difficile entre les usagers du canal qui devra être orchestrée dans les travaux de réhabilitation pour permettre un accès diversifié.

Ainsi, le partage de la voie d’eau nécessite de concevoir des aménagements pensés pour les différents usagers. Selon les participants, il serait nécessaire de prévoir des zones d’amarrages pour les bateaux de plaisance, ainsi qu’une gestion organisée des eaux grises et noires pour que les embarcations puissent vidanger.

Des inquiétudes sur l’avenir écologique

Les acteurs ont conscience des enjeux environnementaux et climatiques et sur le fait qu’il y aura une élévation du niveau de la mer, une montée des températures, un accroissement des risques naturels connus (pluies torrentielles, épisodes cévenoles, ruissellement, érosion des côtes sableuses qui seront de plus en plus conséquents, un réchauffement maritime et des problèmes de submersion). Ces enjeux climatiques créent des points de friction autour de la fonction à donner au canal dans les années à venir. Les acteurs de l’environnement sont nombreux à questionner le rôle même du canal en tant que voie navigable, voire même de la nécessité de le garder comme ouvrage public quand, sur le long terme, son ensablement est démontré. Il apparaît également l’émergence d’une série d’inquiétudes concernant les effets du canal et des travaux d’entretien sur les espaces naturels environnants et le maintien d’une qualité des eaux. En effet, le canal traverse une série d’espaces protégés (Natura 2000, Grand site de France, sites inscrits ou classés, etc.) qui nécessitent une vigilance renforcée quant aux travaux de réhabilitation envisagés.

CONCLUSION

A l’issue du cycle de la conférence sur le devenir du canal du Rhône à Sète, du 15 octobre au 30 novembre 2020, le consensus est de maintenir la navigabilité du canal sur un horizon à minima de 30 ans. Au‐delà, soit après 2050, l’horizon devient incertain en raison de l’impact du changement climatique sur le territoire. L’étude socio‐économique sur « le port de commerce de Sète et le Canal du Rhône à Sète : enjeux, freins et perspectives de développement du transport fluvial » réalisée en 2020 par See’Up et DSG Consultants pour le Port de Sète Sud de France et Voies navigables de France a révélé un vrai besoin économique justifié et partagé par tous (à horizon de 10 ans minimum) pour garantir une capacité de fret comprise entre 200 000 et 500 000 t/an. Il est proposé de renoncer au précédent objectif de 1 000 000 t/an et d’envisager désormais de façon plus réaliste 500 000 t/an sur le prochain Contrat de Plan Interrégional Etat‐Régions (CPIER) 2021/2027.

Le choix entre les 5 gabarits (classe 5 à 1) évoqué dans le rapport CGEDD a fait l’objet d’un début de convergence par le renoncement au haut de la classe 5 (1 800 à 3 000 T) et le choix d’une largeur maximale de 9,5 m.

Dès lors, le choix principalement en discussion sur le fret, à iso‐largeur de 9,5 m se situe entre le haut de la classe 4 (1 000 à 1 500 t), et le bas de la classe 5 (1 500 t à 1 800 t).

Dans l’immédiat, concernant les investissements 2021/2027, quatre opérations pourraient faire consensus entre Voies navigables de France et la Région Occitanie :

  1. Surélever le pont de Carnon à la demande pressante des mariniers ;
  2. Faire une 1ère tranche de travaux urgents sur la berge Nord ;
  3. Cofinancer la prochaine plateforme portuaire de Sète (1,4 M m3) qui accueillerait contractuellement les sédiments du canal du Rhône à Sète (0,5 M m3) sur 21/27 ;
  4. Doter le canal en équipements d’amarrage et d’appontement indispensables au standard d’un tourisme fluvestre de qualité (péniches de location).

Télécharger les documents :
– Rapport final de la Concertation des acteurs autour du devenir du canal.
– Annexe : contributions écrites, présentation d’expertises, résultats des questionnaires des ateliers, retranscription des échanges des ateliers.
– Étude complémentaire sur « le port de commerce de Sète et le Canal du Rhône à Sète : enjeux, freins et perspectives de développement du transport fluvial ».