Un premier rapport sur la transformation du GPM de Marseille en port fluvio-maritime jusqu’à Lyon

Un premier rapport est paru sur la transformation du GPM de Marseille en un port fluvio-maritime allant de la cité phocéenne jusqu’à Lyon voire même Pagny, projet lancé par le Président de la République en septembre 2021. Le document a été présenté lors d’une réunion du conseil de coordination interportuaire et logistique de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône.

Ce rapport commandé par le Premier ministre Jean Castex en novembre 2021 compte un total de 168 pages, se compose du rapport de Pascal Mailhos, préfet coordonnateur de l’axe Rhône-Saône et de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et comprend dans ses annexes les deux rapports des deux chargés de mission Hervé Martel et Élisabeth Ayrault.

Selon la lettre de mission adressée au préfet, il revenait à ce dernier de piloter et de coordonner la mission chargée de travailler sur le projet annoncé par le Président de la République visant à la structuration d’un ensemble portuaire fluvio-maritime sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône (MeRS). Sur celui-ci, le GPM de Marseille, « porte d’entrée vers l’hinterland constitue une infrastructure essentielle pour le développement du transport fluvial. Elle doit donc être réorganisée pour a minima tripler d’ici 10 ans la part modale du fleuve, sachant que les infrastructures existant sur le Rhône sont d’ores et déjà dimensionnées pour un trafic 4 à 5 fois supérieur au trafic actuel », indiquait la lettre de mission.

A Hervé Martel, président du directoire du GPM de Marseille, il était demandé « d’établir un projet industriel, logistique et économique sur un périmètre couvrant l’ensemble de l’axe de Pagny à Marseille et sur un champ intégrant les enjeux du transport fluvial, son articulation avec le ferroviaire, la consolidation et le développement d’activités industrielles à haute valeur ajoutée sur l’axe et la nécessaire trajectoire vers des énergies décarbonées ».

Élisabeth Ayrault, en tant qu’ancienne présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et vice-présidente du conseil de surveillance du GPM de Marseille, était chargée de « proposer plusieurs schémas d’organisation permettant de mettre en œuvre ce projet industriel tout en tenant compte des différences de statuts des établissements concernés et de leurs personnels ».

« Un accueil ouvert, parfois circonspect »

Le préfet indique dans son avant-propos que son rapport « vise à éclairer le gouvernement sur la forme que pourrait prendre le projet ». La mission a consisté en des réunions avec « les acteurs professionnels les plus concernés » (VNF, CNR, SNCF Réseau, DGITM, DREAL, E2F) puis avec « les acteurs institutionnels principaux en y intégrant les conseils régionaux (à haut niveau technique mais sans représentation politique) et les chambres de commerce et d’industrie régionales ». La mission « a mené près de 100 entretiens bilatéraux pour identifier les enjeux et sensibilités majeurs ».

Comme bilan des échanges, le préfet écrit : « Les premières expressions de terrain ont fait état d’un accueil ouvert, parfois circonspect. De nombreuses missions et rapports se sont succédé dans l’objectif de rassembler davantage le destin des places maritimes et fluviales et d’accroître le report modal vers les modes massifiés. Toutefois, aucune n’a réellement été suivie d’effet (absence de décisions et de financement) et il s’ensuit une forme de perte de confiance des acteurs sollicités ».

Il ajoute : « Pour s’imposer, l’ambition esquissée dans le présent rapport devra être prolongée de décisions fortes de l’État, mais aussi trouver un ou des relais politiques territoriaux, en particulier parmi les régions. Dans ce contexte, seule la réussite de quelques actions fédératrices à court terme (2 à 3 ans), concrètes et opérationnelles, associant secteurs privé et public, est susceptible de redonner confiance à l’ensemble des acteurs et de permettre le déploiement d’un projet de plus longue portée et de plus forte ambition ».

Au final, le projet vise « à se donner l’ambition et partager les enjeux qui rassemblent : faire du port fluvio-maritime un atout pour construire un espace économique ouvert sur l’Europe et sur le monde ».

Le défi de la décarbonation avec deux leviers identifiés

Selon le rapport, « la structuration d’un ensemble portuaire fluvio-maritime sur l’axe MeRS est à l’interface avec plusieurs politiques publiques et appelle la mise en œuvre d’un projet de territoires : réindustrialiser, décarboner les transports, assurer la transition énergétique et la sortie des énergies fossiles et concilier développement économique et maîtrise de l’artificialisation des sols ».

Pour le préfet, la transformation « n’est pas envisageable sans une coopération accrue des acteurs institutionnels, qui doivent accompagner ces mutations, et sans la capacité d’innovation et de réalisation du secteur privé. Dans un territoire où l’échelle de réflexion dépasse celle des limites administratives, redonner de la confiance est un préalable nécessaire. Mais cela ne suffira pas : l’État devra porter une vision forte, mais il ne pourra le faire seul. Il sera indispensable de construire, dans le temps, les conditions du consensus et d’une incarnation politique locale en déclinaison des ambitions nationales ».

Le rapport poursuit en rappelant que cet axe « est un territoire complexe en raison de sa géographie et surtout de sa topographie. Il est le support d‘une activité humaine intense mais diffuse. L’axe constitue un bassin fluvial isolé en termes de circulation de marchandises. Le ferroviaire, qui présente une couverture territoriale et un maillage intéressant, pâtit de la saturation du nœud ferroviaire lyonnais pour une massification à grande échelle sur le transport de longue distance. Le réseau routier, dont la couverture territoriale est excellente constitue donc aujourd’hui le vecteur privilégié de déplacement de près de 80 % des marchandises ».

L’un des défis à relever sur l’axe est la décarbonation car « son développement économique et industriel s’est fortement structuré autour des énergies fossiles dont la sortie à terme constituera un défi d’ampleur mais aussi une formidable opportunité de recomposition du tissu industriel ».

Selon le texte, deux leviers peuvent être utilisés :

  • Le premier suppose de mobiliser toutes les forces en faveur du report modal et de mieux reconnecter les chaînes logistiques maritimes, fluviales et ferroviaires en investissant, en augmentant l’offre, en débloquant les verrous, en incitant, en innovant, en massifiant le transport ferroviaire et fluvial là où des capacités sont encore largement disponibles. Mais aussi en faisant mieux collaborer tous les acteurs. Il permet de premiers résultats dès le court terme.
  • Le deuxième levier suppose un travail de fond plus institutionnel, le partage d’une vision de long terme et la mise en œuvre de moyens conséquents pour coordonner les implantations et rendre atteignable la massification. Pour cela, il est nécessaire de conduire un travail de fond, majeur, sur le foncier. L’objectif est de créer une politique d’offre performante et compétitive pour toutes les nouvelles activités, à proximité des grands sites de massification. Cette ambition foncière se confrontera à un triple défi : l’atrophie de l’offre globale en foncier logistique dans certaines zones, et en particulier dans l’aire urbaine lyonnaise, la rareté du foncier près des ports fluviaux et, enfin, la conciliation avec l’objectif de « zéro artificialisation nette ». Mais, ainsi que le démontre ce rapport, les ports présentent tous des opportunités propres qui rendent ces défis relevables, si l’on sait jouer sur leurs complémentarités et faire preuve d’ambition.
Des actions pouvant être engagées « rapidement »

Le rapport présente des recommandations et actions, « prioritaires et structurantes, ouvrant sur le champ des possibles. Leur structuration doit éclairer les prochaines décisions gouvernementales, base d’une première feuille de route ».

Les principales actions qui pourraient être engagées rapidement portent sur :

  • La construction d’une vision partagée sur l’axe, au travers d’un observatoire foncier et d’un schéma directeur ;
  • La mobilisation forte du foncier en se dotant d’outils juridiques d’urbanisme puissants de type opération d’intérêt national, projet d’intérêt général, projets partenariaux d’aménagement, etc. ;
  • Un soutien fort, et dans une volonté de complémentarité, au développement des sites fluviaux les plus prometteurs : Pagny, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Villefranche-sur- Saône, Lyon, Loire-sur-Rhône, Salaise-sur-Sanne, Valence, Arles ;
  • La reconversion foncière des grands sites industriels : Berre, Saint- Etienne, Grenoble notamment ;
  • L’optimisation de l’accès des barges et trains sur les terminaux maritimes couplée à un meilleure fluidité numérique et douanière sur l’ensemble de la chaîne de transport ;
  • La facilitation de l’accès ferroviaire aux grands sites lyonnais (port de Lyon Edouard Herriot, Vénissieux) et le développement du transport combiné sur l’axe pour offrir des solutions de massification (chantiers de transport combiné) sur les grandes plateformes logistiques raccordées au réseau ferroviaire ;
  • Le déploiement coordonné de bornes de recharge multi-énergies.

Le préfet poursuit : « Ces premiers exemples devront être accompagnés d’un mouvement de fond sur des actions structurantes listées comme autant d’idées possibles à moyen et long termes ».

Deux possibilités de gouvernance et la question budgétaire

Selon le rapport, « pour fédérer les acteurs et leur permettre la mise en œuvre de cette feuille de route, structurer une gouvernance commune autour d’un acteur central sera nécessaire. Elle doit découler du projet et non présider à sa définition. Restaurer la confiance et garantir une mise en œuvre rapide suppose de s’appuyer sur les acteurs en place sans les impacter. Ainsi, les schémas de gouvernance ont été imaginés comme des réponses aux besoins de leurs membres et non comme des instances au-dessus d’eux ».

Pour le préfet, « deux possibilités de gouvernance sont à retenir :

  • Un format associatif, autour d’un renforcement des missions de Medlink Ports, qui permettrait d’induire davantage de collaboration entre les acteurs professionnels et institutionnels et de positionner la structure en garante de l’établissement et de la mise en œuvre du schéma directeur. Mais elle présente rapidement des limites lorsqu’il s’agit de mener des investissements communs ;
  • Privilégier un format entrepreneurial, sous forme d’une société anonyme de droit privé mais à capitaux publics (avec une possible prise de participation minoritaire du privé), agissant en régie pour le compte de ses actionnaires. Entre autres avantages, elle permettrait de réaliser des investissements communs ».

Il appartient à l’État de décider quelle option privilégiée, indique le préfet : « Sur la base du choix gouvernemental qui sera fait après les approfondissements à venir, une mission de préfiguration de cette nouvelle gouvernance, confiée à un acteur aguerri, à profil entrepreneurial et représentatif de l’ensemble du territoire, devra être engagée rapidement pour finaliser les réflexions, établir l’éventuel modèle économique et surtout construire le consensus politique autour de l’idée retenue ». Le préfet aborde également la question budgétaire indispensable à un tel projet de transformation : « Enfin, l’État pourra difficilement porter et incarner un tel projet sans adresser des signaux d’investissement et de financement à moyen et long termes. Les moyens usuels d’intervention (CPIER, Feder, plans 5Rhône attachés à la concession CNR) pourront amorcer la réalisation des premières actions, mais les investissements structurants nécessiteront de définir le mandat et le cadrage budgétaire, afin de finaliser exactement les priorités à retenir ».

Un bémol pour les ambitions pour le fluvial à 10 ans

Dans la conclusion de son rapport, le préfet répète que « la construction d’un ensemble portuaire fluvio-maritime plus intégré sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône présente de nombreuses opportunités pour faire du corridor un territoire de référence et un laboratoire des politiques publiques de réindustrialisation, de décarbonation des transports, de transition énergétique et numérique, et maîtrise de la consommation foncière ».

Mais, tous les acteurs concernés vont devoir se mobiliser et avancer dans le même sens : « Pour y parvenir, les ports maritimes devront accroître leur compétitivité pour pleinement jouer leur rôle d’ouverture sur le corridor et les ports fluviaux et secs devront assurer un rôle central de relais de l’économie maritime tout en restant indispensables dans les échanges internes. Ils devront collectivement se lancer pleinement dans le défi de la transition énergétique. Les acteurs et collectivités devront partager une ligne politique claire pour que ce projet s’accompagne d’un projet de territoire particulièrement porteur, en faisant fi des limites administratives. L’État devra, dans cette ambition, jouer un rôle fort aux côtés des collectivités, la spécificité du territoire d’intervention le légitimant pleinement. Le potentiel d’innovation du secteur privé devra être pleinement mobilisé. Le défi immédiatement à venir sera donc de fédérer autour de cette notion de « gateway » qui porte en elle un projet de territoire puissant ».

Dans cette conclusion, on trouve un bémol aux ambitions à 10 ans concernant le fluvial mentionné dans la lettre de mission du Premier ministre : « Vraisemblablement, l’objectif de triplement de la part modale globale du fleuve évoqué dans la lettre de mission ne sera pas atteignable d’ici 10 ans. La nature fermée du bassin et le positionnement des grandes plateformes logistiques, loin des ports fluviaux, rendent difficilement atteignable cette ambition dans ce délai. Mais cet objectif sera accessible à moyen ou long termes ».

Enfin, le préfet liste les objectifs atteignables sur lesquels pourraient converger les acteurs (qui) sont :  

  • De s’assurer que d’ici 10 ans, toute nouvelle implantation logistique ou industrielle, susceptible d’utiliser le fer ou le fleuve puisse être localisée sur un site connecté directement aux infrastructures adéquates ;
  • De multiplier par 2,5 le nombre de conteneurs transportés par voie fluviale à horizon 10 ans ;
  • De viser 80 % de part de marché conteneurs traitée par les ports français sur le territoire d’ici 2050 ;
  • D’accroître de 30 % la part des modes de transport massifiés dans les pré et post-acheminements d’ici 2030 et de doubler la part modale du fret ferroviaire dans le même temps ;
  • D’assurer 90 % des échanges de moyenne distance en énergies alternatives à horizon 10-15 ans par voie fluviale, ferroviaire ou par pipeline ».

Pour lui, « d’autres objectifs seront à construire, pour se fixer un cap et une cible à atteindre, avec les acteurs du territoire, notamment en matière de logistique urbaine et de tourisme ».

Ce premier rapport remis au Premier ministre Jean Castex fin mars 2022, qui a fait l’objet d’une première présentation et d’échanges lors de la réunion du conseil de coordination interportuaire et logistique de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône en juillet de la même année, doit être complété d’une note adressée à la Première ministre Élisabeth Borne. La balle est ainsi dans le camp du gouvernement pour la ou les suites à donner.