Un instrument financier européen pour la transition énergétique de la navigation intérieure

Des précisions sur les contours d’un instrument financier européen spécifiquement dédié à soutenir la transition énergétique de la navigation intérieure ont été présentées lors de la quatrième session de Platina 3.

Le besoin d’un instrument financier européen spécifiquement dédié à soutenir la transition énergétique de la navigation intérieure fait partie des travaux d’un groupe de travail de la plate-forme Platina 3 dont des éléments du rapport ont été présentés lors de la session organisée les 7 et 8 juin 2022.

L’objectif fixé au groupe de travail était « la poursuite de la coordination, du développement et du soutien aux programmes et mesures à mettre en œuvre en Europe pour améliorer les conditions de financement permettant aux propriétaires de bateaux d’investir dans des solutions de motorisations qui correspondent à la transition vers un transport à zéro émission », a indiqué Laure Roux, de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR). Le pilotage de ce groupe de travail est en effet revenu à la CCNR qui avait déjà été à la manœuvre pour la réalisation d’un rapport sur le même sujet et qui a servi de base aux travaux menés dans le cadre de Platina 3.

« Le concept initial développé dans l’étude de la CCNR » proposait « un instrument de portée européenne, basé sur des sources mixtes (publiques et privées), incluant une contribution du secteur, pour soutenir financièrement les armateurs et exploitants de bateaux dans la réalisation de leur transition énergétique ». Il a été précisé que « tous les types de bateaux sont concernés, aussi bien ceux pour le transport de marchandises que ceux pour les passagers et le tourisme ».

Depuis cette étude de la CCNR, l’idée d’un instrument financier européen spécifiquement dédié pour soutenir la transition énergétique de la navigation intérieure a été inscrite dans le plan d’action pour la navigation intérieure (Naiades 3 pour la période 2021 à 2027) de la Commission européenne ainsi que dans le rapport du Parlement européen intitulé Towards future-proof on inland waterway transport in Europe. C’est aussi mentionné dans le Paquet Fit for 55 de la Commission européenne.

Plusieurs paramètres

Le rapport de la CCNR préconisait plusieurs paramètres pour l’élaboration de l’instrument : « se concentrer sur l’octroi de subventions pour combler l’écart entre le statu quo (« business as usual ») et les voies de transition possibles », « prévoir des contributions de l’Union européenne, des Etats membres (niveau national), et du secteur et qu’elles soient utilisées pour investir soit dans des technologies zéro ou faible émission (réduction des GES et des polluants locaux), soit dans des mesures améliorant l’efficacité énergétique du bateau ».

Sur un plan géographique, il pourrait s’appliquer aux voies navigables des Etats membres de l’Union européenne mais pas seulement (par exemple la Suisse).

Il ne faut pas oublier « la possibilité de combiner le nouvel instrument avec les solutions de financement déjà existantes ».

Parmi les autres paramètres : « un accès facile à un tel instrument est primordial ainsi que la simplicité et l’efficacité administratives » tout comme la mise en place d’un guichet unique. « Des produits de financement (garanties, prêts, fonds propres) pourraient également être fournis dans le cadre de cet instrument ». Enfin, l’un des paramètre majeur de l’instrument est de « permettre au niveau européen une contribution sectorielle combinée à des engagements multilatéraux stables et à long terme de subventions fournies par des organismes publics (budgets des gouvernements nationaux et/ou budget de l’UE) ».

Les échanges dans le cadre du groupe de travail de Platina 3 ont abouti à la conclusion qu’un instrument « décentralisé » serait le plus efficace et combinerait des co-financements et des points de contact au niveau national, des ressources gérées au niveau européen provenant du budget de l’UE (c’est-à-dire des programmes de financement nouveaux ou adaptés) et une contribution sectorielle. Un point de vigilance a été précisé : « même décentralisée, une coordination au niveau européen est nécessaire pour assurer des ressources financières suffisantes (subventions) aux mêmes conditions ». Il s’agit aussi « d’atténuer le risque de différents régimes de co-financement nationaux qui peuvent perturber l’égalité des conditions de concurrence (« level playing field ») ».

Deux périodes

En termes de délai, les échanges dans le cadre du groupe de travail de Platina 3 conduisent à proposer « une approche en deux phases ».

La première phase correspond à celle de l’actuel budget de long terme de l’UE (ou MFF pour Multiannual Financial Framework) qui court de 2021 à 2027. Sur cette période, pas de solution miracle : il va s’agir de continuer à « utiliser les financements existants et les possibilités de financement à différents niveaux » tout « en jetant les bases d’un instrument européen de soutien à la flotte de la navigation intérieure ».

La phase 2 est prévue de 2028 à 2035, soit la prochaine période du MFF de l’UE, pour la réelle mise en place d’un instrument soutenant la transition énergétique de la flotte de la navigation intérieure et associant les contributions européennes, nationales et sectorielles.

Le délai peut paraître long. Toutefois, l’instrument envisagé est innovant, en voulant associer des niveaux de décisions, d’institutions, d’acteurs de niveaux très variés, en nécessitant la mise en place de structures et de schémas d’organisation nouveaux, etc. Le changement devra aussi se faire dans les cerveaux, ce qui pourrait représenter une partie de temps non négligeable.

Sans oublier de respecter l’un des principes fondateurs de l’UE : le respect de l’égalité des conditions de concurrence (« level playing field »). Il faut aussi s’assurer que « la charge des différents acteurs est équitablement répartie selon les différents niveaux de financement (UE, régional/national, sectoriel) », que « ces niveaux soient complémentaires, suffisants et appropriés pour permettre la transition énergétique ». Autrement dit, il faut bâtir une « stratégie claire entre l’UE, les gouvernements nationaux et les représentants du secteur de la navigation intérieure concernant le financement de la transition énergétique d’ici 2050 ».

Une contribution sectorielle

L’idée est d’abonder le nouvel instrument financier par des contributions venant de trois niveaux : des Etats membres, du budget de l’UE, et du secteur lui-même. Pour les membres du groupe de travail de Platina 3, « la réussite de la mise en œuvre d’un tel concept nécessite le soutien de tous les acteurs impliqués ».

Concernant la contribution sectorielle, il est précisé : « Ce n’est pas un but en soi mais un moyen d’enclencher la transition énergétique au niveau de l’armateur individuel ».

Plusieurs raisons expliquent la mise en place d’une contribution sectorielle : « la nécessité de créer une incitation pour les propriétaires de bateaux à investir dans les technologies de réduction des émissions » et « s’assurer que ceux qui investissent maintenant ne sont pas désavantagés par rapport à ceux qui investissent plus tard (level playing field) ». Il faudra « veiller à ce qu’une telle contribution soit destinée à soutenir le secteur privé et soit investie dans leurs projets d’adaptation de la flotte de bateaux de navigation intérieure à la transition énergétique du secteur ». Elle peut aussi permettre « d’anticiper sur de futurs développements législatifs qui obligeraient le secteur à contribuer ou à internaliser les coûts externes sans certitude quant à l’affectation des revenus ».

Concernant cette contribution sectorielle, de nombreux aspects restent à définir et feront l’objet de discussions et concertations, notamment : sera-t-elle obligatoire ou volontaire ?

Des représentants européens de la filière ont déjà demandé que « continuent d’être explorées d’autres propositions que celle fondée sur une surtaxe sur le carburant ». Parmi les pistes possibles, la contribution sectorielle pourrait prendre la forme d’une participation aux systèmes d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (ETS) dont les revenus seraient affectés au nouvel instrument financier.

Source : NPI.