Adapter les infrastructures portuaires, maritimes et fluviales au changement climatique

L’élévation du niveau moyen de la mer peut dépasser les 2 mètres d’ici 2120 même si l’objectif de +1,5°C fixé par l’Accord de Paris était respecté, ce qui n’est pas le cas actuellement avec un réchauffement mondial autour de +2,6°C. Comment adapter les infrastructures portuaires, maritimes et fluviales aux conséquences de cette situation a été le thème d’une matinée de colloque organisé par l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), à l’occasion d’un rapport tout juste publié sur le sujet.

La parole a d’abord été donnée à des chercheurs pour éclairer sur les prévisions d’élévation du niveau moyen de la mer, dans le contexte d’un réchauffement climatique dépassant largement la barre de +1,5°C fixée par l’Accord de Paris, sur les conséquences en termes de risques côtiers comme les submersions chroniques à marée haute qui concernent les infrastructures des ports et des transports qui vont devoir s’y adapter.

« Il faut retenir que même si le réchauffement mondial se stabilise à +1,5°C, objectif de l’Accord de Paris, une élévation du niveau moyen de la mer de 2 mètres est probablement inévitable. Comme, sans doute, le réchauffement se situe déjà au-delà de +1,5°C, l’élévation peut dépasser les 2 mètres d’ici 2120 si le changement climatique reste sans atténuation et dépasse +4°C au niveau mondial. L’incertitude porte sur le calendrier : entre un siècle et les deux milles prochaines années en fonction de comment nous parvenons à réduire nos impacts sur le changement climatique », a dit Gaël Durand, directeur de recherche au CNRS de Grenoble, premier intervenant lors de la matinée de l’IGEDD.

Les évaluations concernant le niveau d’élévation de la mer dépendent de l’évolution des calottes glaciaires dans le contexte du réchauffement climatique mondial. Des incertitudes existent concernant les instabilités de la calotte glaciaire Antarctique et leurs conséquences. Pour le chercheur au CNRS : « L’effondrement de grandes régions de la calotte Antarctique est un scénario défavorable qui ne peut être totalement exclu, même si le monde reste sous la barre des 2°C de réchauffement climatique. La probabilité d’un effondrement augmente avec le réchauffement ».

Autrement dit : plus le réchauffement mondial dépasse les 1,5°C, moins des mesures pour atténuer le changement climatique et ses conséquences sont prises, plus l’élévation du niveau moyen de la mer est rapide dans le temps.

1,4 million d’habitants et 850 000 emplois exposés aux risques

« Nous sommes actuellement sur une trajectoire de +2,6 à +2,8°C », a rappelé Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM d’Orléans. « Il ne faut toutefois pas démissionner sur le +1,5°/+2°C ». Ce chercheur a détaillé les risques côtiers créés par l’élévation du niveau de la mer : submersions chroniques à marée haute, augmentation des submersions lors des tempêtes, accentuation de la salinisation, aggravation de l’érosion, submersion permanente.

A elles seules, les submersions chroniques à marée haute nécessitent une adaptation des infrastructures des ports et des transports mais aussi des réseaux d’énergie, en agissant sans attendre 2100, date à laquelle l’élévation atteindra au moins 2 mètres. Les solutions peuvent être des protections, des relocalisations… en définissant « des chemins d’adaptation », en mobilisant de manière inclusive les acteurs, personnes, institutions, élus concernés, en mettant en place une gouvernance. Mais tout cela prend du temps. Selon le chercheur du BRGM : « Le risque est d’être pris de vitesse pour l’adaptation à ces submersions chroniques à marée haute, si l’on se réfère par exemple à la lenteur de mise en place des solutions de protection des zones côtières ».

Denis Lacroix, délégué à la prospective à la direction générale de l’Ifremer, a souligné que la montée du niveau de la mer est associée à d’autres phénomènes comme des vents et/ou tempêtes, des changements de courant… Une élévation du niveau de la mer érode le littoral, affecte des zones rurales comme urbaines, des infrastructures et des activités (sur le littoral et offshore, portuaires, touristiques, pêche, aquaculture…), dévalorise le patrimoine, menace les îles. Parmi les aspects plus positifs : elle « offre des opportunités de valorisation, ouvre des espaces à la technologie, à l’aménagement et au rêve ».

En France, environ 1,4 million d’habitants et 850 000 emplois sont recensés sur les territoires côtiers exposés au risque d’inondation par submersion marine, 1 Français sur 8 habite près d’un littoral. Et la tendance est à la hausse à l’horizon 2040, les communes littorales sont attractives. Ce sont 16 000 ouvrages qui sont installés sur le littoral en métropole et en Outre-mer, pour 2 300 km de longueur cumulée dont 1 435 km d’ouvrages de protection côtière.

Ce qu’induit le changement climatique pour les ports et le fluvial

Geoffroy Caude, membre associé de l’IGEDD, a ensuite présenté le rapport intitulé « l’adaptation au changement climatique des gestionnaires d’infrastructures maritimes et fluviales en France » (disponible en ligne), dont il a piloté les travaux réalisés en association avec l’inspection générale des affaires maritimes (Igam) et avec la participation du Cerema, du Shom, de l’Union des ports de France (UPF), de l’Association française des ports intérieurs (AFPI), de Voies navigables de France (VNF), de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et EDF.

L’éditorial du rapport rappelle que « la navigation maritime et portuaire dépend étroitement des niveaux marins et du degré d’agitation de la mer, tandis que la navigation fluviale est tributaire entre autres des niveaux d’eau dans les voies fluviales : ces formes de navigation dont dépendent en large partie le commerce international et sa distribution territoriale sont de ce fait particulièrement exposées aux évolutions climatiques en cours. Le relèvement progressif des niveaux marins, l’aggravation des épisodes climatiques extrêmes tant en mer qu’à la côte s’imposent peu à peu aux gestionnaires d’infrastructure tant pour la conception de leurs ouvrages que pour leur exploitation. »

La synthèse générale du rapport indique : « Le changement climatique induit principalement des évolutions de rythme de remontée marin, de modification des houles, de diminution des périodes de retour des niveaux marins extrêmes, de variation des conditions de vent et de modification des précipitations extrêmes. À leur tour ces inducteurs climatiques (drivers) peuvent submerger des terminaux, perturber le fonctionnement des infrastructures de desserte ou inonder les terminaux. Bien entendu aussi, l’élévation des températures les conduira à vérifier l’adaptation des espaces naturels sensibles qu’ils contribuent à gérer.

Pour les gestionnaires d’infrastructures fluviales de navigation, les principaux sujets de préoccupation liés au changement climatique sont de nature hydrologique : il leur faut donc s’adapter à l’allongement des périodes d’étiage sur nombre de cours d’eau, à la désaisonnalisation des régimes hydrologiques, à l’apparition de crues rapides liées à de fortes précipitations localisées, à la prolifération de certaines espèces invasives liées au réchauffement des températures des cours d’eau et aux conséquences des modifications des niveaux des nappes sur la pérennité des digues. Pour le moment, les restrictions de navigation sont assez limitées mais, à l’avenir, les conflits d’usage de l’eau seront plus prégnants ».

Des enseignements…

Parmi les travaux menés par le groupe de travail, l’UPF et l’AFPI ont mené une enquête par l’intermédiaire d’un questionnaire auprès de différents ports maritimes et intérieurs pour déterminer si l’adaptation de leurs infrastructures au changement climatique faisait partie de leur réflexion.

« Nous avons aussi fait du parangonnage maritime et fluvial », a indiqué Geoffroy Caude, désignant la partie du rapport qui fournit quelques exemples de ce qui se passe et fait ailleurs dans le monde sur le sujet en se fondant sur les documents de l’AIPCN (ou PIANC), de la CNUCED, de l’IAGF…

Parmi les principaux enseignements pour les ports maritimes français, selon Geoffroy Caude : « Ils prennent largement en compte les phénomènes de submersion marine et de remontée séculaire des niveaux marins, presque tous font ou sont en train de faire une étude de vulnérabilité aux submersions marines. Les stratégies sont souvent englobées dans des stratégies d’adaptation régionales mais la dimension prospective foncière correspondante pour le port est souvent absente. Le lien entre atténuation et adaptation est régulièrement établi. Une concertation citoyenne ou avec les parties prenantes est régulièrement engagée. Ils différencient les infrastructures nouvelles dont la durée de vie est longue (100 ans ou plus) et les terminaux existants. Ils ont mis en place une série d’observation marégraphiques et houlographiques. Ils se sont moins intéressés jusqu’ici aux pluies extrêmes et aux aléas climatiques de leurs réseaux de dessertes terrestres, comme ont pu le faire certains ports australiens ou britanniques. »

Les gestionnaires fluviaux, comme VNF, « n’ont pas été en mesure d’achever toutes leurs analyses », la prospective hydrologique Explore 2070 étant en cours d’actualisation sous le nom d’Explore 2 (horizon 2100) avec l’INRAE et Météo France. Toutefois, ils ont déjà « observé une relative raréfaction de la ressource en eau et une certaine « désaisonnalisation » hydrologique. Ils ont identifié plusieurs sujets : baisse des ressources en eau, aggravation des étiages et des crues extrêmes, conflits d’usage de l’eau, impact des sécheresses sur les matériaux constitutifs des digues, pluies intenses extrêmes, développement d’espèces invasives. Ils ont réalisé plusieurs actions comme la collecte de données sur le réseau, la régénération des infrastructures et la préparation de stratégies d’adaptation. »

… Et des recommandations

Le rapport dresse une liste de recommandations à destination des divers acteurs concernés.

Concernant le fluvial, l’une d’entre elles s’adresse à la DGITM : « changer de paradigme puisque la France évolue d’un climat tempéré avec une relative abondance de la ressource en eau vers un climat induisant des basses eaux plus fréquentes et plus sévères, ce qui conduira à adapter le corpus réglementaire pour faire face aux conflits d’usage accrus qui en résulteront ». Une autre concerne VNF, la CNR et EDF : « déterminer la résilience actuelle des voies navigables au changement climatique à un horizon de projection raisonnable (2050) en utilisant les résultats Explore 2 (2100) et choisir les meilleurs moyens d’adapter le réseau à moyen terme ». Une troisième est destinée à ces trois gestionnaires d’infrastructures et d’ouvrages auxquels s’ajoute l’AFPI : « utiliser l’information hydrologique disponible pour faire fonctionner une observation des basses eaux des différents tronçons du réseau fluvial navigable. »

Des recommandations du rapport sont de nature davantage technique ou scientifique. Parmi elles : « réaliser d’ici fin 2023 un nouveau guide traitant du processus et de la méthode de planification de l’adaptation au changement climatique pour les ports maritimes en liaison avec l’UPF », une recommandation similaire (« établir un guide méthodologique simplifié applicable aux gestionnaires d’infrastructures fluviales navigables ») en liaison cette fois avec l’AFPI et avec une date de réalisation fixée à fin 2024.

Méthode, structuration, financement

Les échanges ont permis d’apprendre que deux des recommandations sont déjà mises en œuvre : celle concernant la création d’un groupe de travail « en vue d’unifier les hypothèses générales à retenir dans les scénarios de vulnérabilité au changement climatique des ports » et celle invitant à lancer une étude sur le scénario d’une élévation du niveau marin de 3 mètres à l’horizon 2100 et ses conséquences.

Selon Nicolas Trift, sous-directeur des ports à la DGITM : « L’engagement des ports dans le changement climatique est en cours depuis plusieurs années sous un aspect d’atténuation des effets. La question de l’adaptation est sans doute plus récente même si les gestionnaires d’infrastructures ont l’habitude de se projeter sur une période longue. Elle est sans doute insuffisamment prise en compte, alors que des délais de 50 à 100 ans correspondent au temps des infrastructures portuaires. Les approches sont assez hétérogènes selon les ports.

La première étape est sans doute d’avancer sur la méthode, raison pour laquelle nous avons mis en place un groupe national, comme recommandé par le rapport, réunissant les ports, des administrations, directions générales… pour définir d’abord le bon scénario de base pour le réchauffement et l’élévation du niveau de la mer. Seront pris en compte des sujets comme les surcotes, qui concernent un niveau plus local, les températures plus extrêmes et leurs conséquences sur les infrastructures notamment ferroviaires. Cela doit permettre d’avoir une approche systémique de l’adaptation au changement climatique. Le groupe de travail national définira des hypothèses de départ tandis que les solutions d’adaptation devront être plus territorialisées, sans doute par façade.

Par ailleurs, nous allons nous placer dans une optique d’élévation extrême du niveau de la mer à 3 mètres et les conséquences sur les infrastructures, comme le font déjà les Pays-Bas, dans le cadre de la stratégie nationale portuaire. L’enjeu est de traduire les scénarios d’adaptation dans les futurs projets stratégiques des ports à partir de 2024-2025. »

D’autres recommandations concernent le financement des mesures d’adaptation, en commençant par en déterminer les montants pour les infrastructures portuaires et « si possible également pour le réseau fluvial navigable. »

Nicolas Trift a ici précisé : « Nous allons commencer à travailler sur la question des moyens financiers et de leur dimensionnement. L’adaptation des infrastructures à l’élévation du niveau de la mer se comptant en centaine de millions d’euros. »

Source : NPI